17 Octobre 1961 : Macron évoque des « faits inexcusables ». A quand des excuses ?

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Par Djilali B.

 

En 2022, la question de la mémoire constituait un consensus entre Paris et Alger pour aller vers une réconciliation mémorielle. Elle avait enregistré un bond en avant avec la mise en place de la Commission mixte dédiée à cette séquence commune dans l’histoire des deux pays. Elle constitue, deux ans plus tard, en 2024, un point d’achoppement qu’accentue le nouvel Exécutif français hostile à l’Algérie.

A l’occasion de la Journée nationale de l’émigration, dont on a célébré le 63e anniversaire ce mercredi, qui rappelle la sanglante répression et les atrocités et meurtres subis par les émigrés lors de cette manifestation le 17 octobre 1961, les présidents Abdelmadjid Tebboune et son homologue français, Emmanuel Macron, ont évoqué l’événement, mais la sémantique de leurs descriptifs a divergé cette fois. Surtout que le président Macron opte encore une fois pour la prudence et n’ose pas franchir le pas pour présenter «les excuses de la République».

Comme illustration de ce crime raciste, décrit d’ailleurs comme un crime contre l’humanité, il y a lieu de revoir le récit d’un acteur de la Fédération de France du FLN, Mohamed Ghafir, dit Moh Clichy, dans son livre «Droit d’évocation de souvenance», actualisé, dans lequel il met à nu la barbarie de la police française.

Dans un tweet, le président français a décrit des «faits inexcusables pour la République». Toutefois, M. Macron avait pris la précaution de rappeler, sans doute pour ne pas irriter ses alliés de la majorité qu’il a recrutée parmi la droite conservatrice et son extrême, qui fait de l’Algérie la source de ses crises, y compris peut-être de «sa noyade financière», que la répression du 17 octobre 1961 était sous l’autorité de Maurice Papon. Comme si le premier policier de Paris avait une autorité autonome. Ce qui ne déroge aucunement au discours consacré par la France qui ne veut pas reconnaître ses crimes.

Qu’on en juge : «La France se souvient des morts, des blessés, des victimes. De ces faits inexcusables pour la République», s’est contenté de relever le président français, dont la République qu’il représente n’est toujours pas prête à assumer ses crimes passés. Et de trancher : «Avec lucidité, nous regardons l’Histoire en face, pour dessiner l’avenir». Autrement dit, regarder l’histoire comme un passé commun et dont la République actuelle, qui ne serait pas le prolongement logique de l’ancienne, ne porte aucune responsabilité.

 

Une pensée coloniale obsolète

Le ton change lorsque le président Tebboune exclut, dans son message, l’oubli. «C’est là un anniversaire qui demeure profondément gravé dans nos esprits, de par la forte symbolique qu’il revêt illustrant l’unité et l’attachement du peuple à la réalisation des objectifs tracés dans l’éternelle Déclaration du 1er Novembre…», dit-il.

En témoignent, rappelle le chef de l’Etat en ce 63e anniversaire de l’atroce et inhumaine répression subie par les émigrés algériens ce 17 octobre 1961, «les images des scènes tragiques dans les stations de métro et les ponts de la Seine à Paris, conservées dans les archives qui documentent la haine, la violence et le racisme du colonisateur en ces moments de folie dénués de tout civisme et humanité, sont l’affirmation de la profondeur du lien national sacré entre les enfants de notre cher pays».

Tout en rendant hommage aux martyrs, le président Tebboune rappelle l’engagement du pays à défendre leur mémoire, mais aussi à défendre les droits et intérêts des émigrés d’aujourd’hui pour leur intégration dans la dynamique de redressement national. Et «gagner les paris et réaliser les rêves de nos valeureux chouhada dans une Algérie altière, l’Algérie du nationalisme et de la dignité, et attachée au principe du droit et d’équité en ce qui concerne le dossier de la mémoire», dit-il. Une mémoire «que certains cercles extrémistes tentent de falsifier ou de reléguer au tiroir de l’oubli», fustige M. Tebboune, «au moment où la question de la mémoire a besoin d’un nouveau souffle de courage et d’intégrité pour se débarrasser du complexe du passé colonial et se tourner vers un avenir serein…», a-t-il ajouté dans cette formule qui invite la partie française à affronter son passé colonial avec lucidité au lieu de le «regarder en face», sans le reconnaître et encore moins faire des excuses pour ses crimes, avant de passer à autre chose. Un avenir dont la perception diffère que l’on soit à l’Elysée ou à El Mouradia. Parce que s’il y a volonté du côté d’Alger d’aller vers cet avenir sans occulter ni hypothéquer le passé, il existe du côté de Paris «des semeurs de haine, parmi ceux qui restent prisonniers d’une pensée coloniale obsolète».

Ces nostalgiques représentent un poids politique sollicité par «les droites» au point de faire leur entrée en force au Parlement et au gouvernement, empêchant ainsi toute possibilité d’avancée sur la question de la mémoire. Car les partisans du «ni reconnaissance ni repentance» prennent en otage un peu plus la perspective de «regarder ensemble et avec lucidité l’histoire commune», comme préconisé au mois d’août 2022 dans un document signé par les deux chefs d’Etat à Alger.