PAR LATIFA ABADA
Du bois, un manche, des cordes et une peau animale qui le recouvre, le goumbri est un instrument de musique à la fois simple et atypique. Sa forme, son poids, le bois qui le façonne, influencent les notes qu’il produit. Dans son atelier de fabrication, Abdelhakim, musicien et fin connaisseur du goumbri, nous fait découvrir l’univers d’un instrument aux multiples facettes.
En franchissant le seuil de l’atelier boutique de Abdelhakim, sis à Ben Aknoun, le visiteur est vite saisi par les différents goumbris soigneusement posés sur des étagères. Du petit au grand, chacun épouse une forme différente, mais ils restent similaires sur de nombreux aspects.
« Le goumbri porte en lui l’identité africaine. Malgré son long voyage de l’Afrique subsaharienne au Maghreb, le goumbri a su conserver ses caractéristiques de base. Son ancêtre est le N’goni, un instrument à cordes pincées d’origine ouest-africaine », renseigne Abdelhakim.
Sur un petit établi, quelques instruments informent sur le mode de fabrication. Aucune machine, simplement des instruments. « La fabrication du goumbri est manuelle. L’artisan fait appel aussi au sens du toucher pour évaluer son travail », souligne-t-il.
Le gnibri et cheikh Namous
Un coin en particulier attire l’attention dans l’atelier boutique de Abdelhakim. Un petit goumbri fabriqué avec la carapace d’une tortue est soigneusement accroché au mur. Abdelhakim explique que ce type de « gnibri » a été popularisé par le célèbre musicien algérien cheikh Namous. « J’ai eu le privilège de restaurer celui-ci, qui est très ancien. Sa particularité est cette carapace de tortue creusée. Il doit son nom « gnibri » à sa petite taille », précise Abdelhakim.
Mais pour mieux présenter cet instrument, Abdelhakim s’adonne à une petite démonstration. Il choisit le dernier goumbri qu’il a fabriqué. Il confie que la légèreté de l’instrument permet au musicien une meilleure performance. Abdelhakim joue et reste attentif au son du goumbri.

« Il y a ça de magique avec cet instrument. Le son qu’il produit n’est jamais le même. Il noue une relation particulière avec chaque personne qui en joue et produit un son nouveau pour le grand bonheur des musiciens », décrit Abdelhakim.
Abdelhakim est musicien. Cette passion pour la fabrication de goumbri est née en 2018. Il raconte que son fils, en rentrant d’un séjour au sud, voulait apprendre à en jouer. Il lui fallait donc l’instrument.
« Je l’ai fait de manière sommaire mais le résultat était correct. Si mon fils s’est désintéressé de ça, moi j’ai pris goût à la fabrication de cet instrument. Je me lance alors dans la réalisation d’un deuxième, petit, avec des lattes que j’ai réussi. Comme je sais que très peu de personnes en fabriquent à Alger, et qu’il y a des gens qui s’y intéressent, j’avais l’espace pour créer un petit atelier et c’est comme ça que cette aventure a commencé », raconte Abdelhakim.
Voyage au cœur du goumbri
Gnibri, soussan, aouicha, goumbri, hadjhouj ou encore sintir, cet instrument prend différentes appellations. Pourquoi ? Simplement pour déterminer sa taille. « Le goumbri est la taille la plus grande de l’instrument. Mais lorsque nous regardons les anciennes photos des gnawa, on remarque que l’instrument était petit, c’està-dire un gnibri ou une aouicha », nous apprend Abdelhakim.
Il ajoute que la différence d’un goumbri à un autre réside au niveau de la tessiture. Plus c’est petit, plus le son est aigu. Quand l’instrument est plus grand, le son devient grave.
Mais qu’en est-il du processus de fabrication ?
Le corps de l’instrument se fait avec du bois. Quelques troncs sont posés à l’entrée de l’atelier. Selon Abdelhakim, le choix du bois est tributaire de la disponibilité. L’artisan utilise le cèdre, l’acajou ou l’ayous qu’il affectionne particulièrement pour sa légèreté, solidité, résonance et aussi pour son esthétique.
« Il y a deux façons de faire : creuser un tronc d’arbre à la main, on lui donne la forme globale qui est rectangulaire et arrondie sur les bords ; l’autre méthode est celle que je pratique avec des lattes qu’on colle les unes aux autres », explique-t-il.
Une fois le corps de l’instrument monté, celui-ci est recouvert d’une peau de chèvre ou de chameau. La meilleure peau pour le goumbri est celle du cou du chameau, selon Abdelhakim. La peau doit être complètement lissée. Il faut enlever le poil et la poncer jusqu’à la rendre complètement lisse pour le confort de jeu. La peau doit ensuite être nourrie avec une matière graisseuse.
Concernant les cordes, le goumbri n’en a que trois. Abdelhakim les apporte de l’étranger. En Algérie, ce savoir-faire n’existe pas. Les meilleures cordes sont faites à partir de boyaux de chèvre que les artisans filent jusqu’à obtenir des cordes. « Ce n’est pas toujours évident d’avoir des cordes d’origine animale. Il y a une alternative qui est très efficace. Il s’agit des cordons en coton ciré qu’on trouve chez les cordonniers. »
Le goumbri est doté de trois cordes. Deux cordes sont pincées et prennent tout le manche et celle du milieu n’arrive pas à l’extrémité. C’est une autre caractéristique du goumbri, d’avoir une corde non pincée.
Des pièces uniques
Dans son atelier, Abdelhakim accueille des musiciens qui viennent parfois avec des demandes précises. L’un d’entre eux voulait un goumbri qui ressemble à une basse. La différence réside justement dans les cordes, il voulait que les trois cordes prennent tout le manche.
C’est également le cas pour la restauration. Abdelhakim examine l’objet avant de procéder à sa réparation. Il donne l’exemple d’un goumbri dont les cordes étaient fixées avec des lanières de cuir. Son propriétaire voulait les remplacer avec des mécaniques.
Pour cela, il fallait percer l’extrémité du manche, ce qui peut créer des fissures. « Je fais des pièces uniques, je ne peux pas répondre à la demande du client de manière systématique. Quand la demande me semble réalisable, je dis toujours que je ne garantis pas le résultat », explique-t-il.
Abdelhakim ne se renferme pas dans un modèle en particulier. En respectant l’identité de l’instrument, il apporte des modifications, teste de nouvelles techniques et diversifie l’offre.
Ses acheteurs sont des musiciens mais aussi de simples admirateurs de cet instrument. Sa forme originale, le cuir qui le décore, ajoute la notion esthétique à son identité.
Son atelier est aussi un lieu d’apprentissage. Abdelhakim partage sa passion en donnant des cours de goumbri. « J’ai deux élèves qui viennent régulièrement pour apprendre à en jouer. Une d’entre elles n’avait jamais touché un instrument.
Aujourd’hui, elle commence à bien assimiler les règles de base. La transmission est importante pour préserver ce patrimoine. Plus nous sommes nombreux à en jouer et en fabriquer, plus on garantit sa pérennité. »
Pour Abdelhakim, le plus attendu est la tonalité. Cette part de mystère nourrit la passion pour la fabrication de cet instrument. Chaque goumbri sonne différemment. La qualité du bois, la forme de la caisse, le type de peau ont forcément une incidence sur le son. Mais la recherche du son parfait reste infinie.
L. A.