Par M. Mansour
À peine quelques jours après la validation d’une ambitieuse feuille de route entre l’Algérie et la France, l’arrestation spectaculaire, en pleine rue, d’un agent du consulat d’Algérie à Créteil par la police française a gelé net un processus de réchauffement diplomatique que les deux présidents venaient tout juste de relancer. Cette interpellation, manifestement orchestrée, en violation flagrante des usages diplomatiques, a brutalement replongé les relations bilatérales dans une grave crise, compromettant sérieusement le redémarrage des échanges commerciaux et des projets d’investissement portés par les deux États.
Pourtant, tout semblait enfin rentrer dans l’ordre. Le 31 mars, Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron s’étaient entretenus longuement au téléphone. À l’issue de cet échange, une feuille de route claire concernant plusieurs domaines, dont l’économie, avait été scellée, comprenant une reprise des activités dans les secteurs stratégiques, tels que l’automobile, l’agroalimentaire et le transport maritime. Il était même question d’un appui de Paris à la renégociation de l’accord d’association entre Alger et l’Union européenne, et surtout, de l’organisation de rendez-vous bilatéraux structurants comme la rencontre Medef-CREA prévue le 19 mai à Paris.
La visite à Alger, le 6 avril, du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, avait pour but de mettre sur pied les mécanismes pour la concrétisation de ces ambitions. Il y évoquait les «freins à lever» dans plusieurs filières, laissant ainsi entrevoir un possible retour du groupe Renault en Algérie. De son côté, le président Tebboune se disait résolument favorable à une relance dynamique de la coopération économique.
L’interpellation brutale de l’agent consulaire, réalisée de manière théâtrale, a été perçue à Alger comme un affront inacceptable, car contraire aux règles et usages diplomatiques. Au-delà du geste, c’est surtout le signal politique envoyé qui a été interprété comme une provocation. L’affaire pour laquelle l’agent consulaire a été arrêté, bien qu’ancienne, a soudainement refait surface, dans un timing pour le moins troublant
En toile de fond, un nom revient avec insistance : Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur. C’est sous son autorité directe que les services de police ont agi. Et c’est à lui, estiment de nombreux observateurs, que profite cet incident. Retailleau n’a jamais caché sa vision conflictuelle du rapport à l’Algérie, privilégiant la confrontation à la coopération. La perspective d’un réchauffement durable des relations bilatérales va à l’encontre de sa stratégie politique, alors qu’il vise la présidence des Républicains en mai, et lorgne déjà l’échéance présidentielle de 2027, quitte à sacrifier les intérêts économiques de son propre pays.
Bisac : «Je suis catastrophé»
Les conséquences sont déjà visibles. Michel Bisac, président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française, se dit « catastrophé ». Contacté par l’Algérie Aujourd’hui, il confie : «Autant j’étais soulagé par la reprise, autant je suis aujourd’hui catastrophé par la tournure qu’ont prise les choses. C’est dramatique pour nous tous. C’est dramatique pour les chefs d’entreprise français, et c’est dramatique pour les chefs d’entreprise algériens.»
Lui aussi pointe un enchaînement suspect : la visite de Barrot, suivie d’une tribune agressive de l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, dans Le Figaro, puis cette arrestation soudaine. «Il est difficile d’y voir une simple coïncidence. Lorsqu’une affaire judiciaire en suspens depuis des mois ressurgit brusquement, avec une arrestation spectaculaire… j’ai du mal à croire au hasard.»
Dans ce contexte, il estime que la ligne dure défendue par Bruno Retailleau semble, pour l’instant, avoir pris le dessus. «Et à nouveau, nous voilà dans une logique de surenchère.»
Le prix à payer se fait déjà sentir. Hier, le président du groupe CMA CGM, géant français du transport maritime, a annulé sa visite à Alger, où il devait annoncer de nouveaux projets d’investissement. Selon le Conseil du renouveau économique algérien (CREA), cette annulation résulte d’une décision politique, sur recommandation directe des autorités françaises. Le CREA, en retour, a annoncé l’annulation de sa propre participation à la rencontre du Medef le 19 mai à Paris.
Dès lors, une question s’impose avec insistance : la France peut-elle bâtir une relation stable avec l’Algérie tout en laissant son appareil d’État être instrumentalisé à des fins électorales ?