Par M. Mansour
Longtemps reléguée aux marges de l’Histoire, l’utilisation d’armes chimiques par la France durant la colonisation de l’Algérie refait brutalement surface, à la faveur de la diffusion du documentaire choc de Claire Billet, «Algérie, section armes spéciales», soutenu par les travaux de l’historien français Christophe Lafaye. Révélant l’ampleur insoupçonnée de ces pratiques interdites, ce documentaire, qui rappelle la stratégie d’évitement déployée par la France dans le dossier des essais nucléaires en Algérie, soulève plusieurs interrogations en faisant émerger la possibilité troublante que ces armes aient non seulement été fabriquées et stockées sur le sol algérien, mais qu’elles aient également été enfouies sur place. Les récents éléments portés à la surface soulignent aujourd’hui plus que jamais l’impératif pour la France de coopérer avec l’Algérie sur ces questions sensibles.
«Nous savions que la France avait employé des armes chimiques»
Le documentaire «Algérie, section armes spéciales» jette un pavé dans la mare, en rappelant une fois de plus les pratiques criminelles de la France durant la période coloniale, mais aussi la gestion actuelle de ce dossier par la France. Selon le film, entre 8000 et
10 000 gazages ont été effectués par l’armée française contre les moudjahidine et la population civile à partir de 1956. Ces chiffres, choquants, soulèvent plusieurs interrogations : où ont-elles été stockées ? Sont-elles encore enfouies quelque part en Algérie, et la France est-elle prête à nettoyer les sites contaminés ?
Cette question a d’ailleurs été abordée par le président Tebboune lors de son entretien avec les médias nationaux samedi, lorsqu’il a affirmé que l’usage de ces armes n’était un secret pour personne en Algérie. «Personnellement, j’ai commencé ma carrière à Béchar, et Oued Ennamous se situe dans la région de la Saoura. Lorsque je dis qu’il y a encore des bêtes qui meurent, c’est parce que les effets perdurent pendant des décennies», a déclaré le chef de l’Etat, évoquant les essais nucléaires français. Il a ajouté que «le problème avec eux (les autorités françaises, ndlr) réside dans le nettoyage des sites, qu’ils soient nucléaires ou chimiques». Concernant ces dossiers sur lesquels la France tergiverse, il a précisé qu’«on ne refait pas l’histoire, et à force de cacher la vérité sous le tapis, cela devient irrespirable pour celui qui y cache la poussière. On a dissimulé la vérité au peuple français, mais désormais, ils savent.»
Une politique du secret bien rodée
Il est vrai que la gestion du dossier des essais nucléaires en Algérie donne un aperçu du degré de rétention d’informations pratiqué par l’Etat français à l’égard de ses opérations militaires secrètes. En 2007, Paris a effectivement remis à Alger les plans des champs de mines antipersonnel posés entre 1956 et 1959, le long des lignes Morice et Challe. Cependant, aucune transparence similaire n’a été accordée pour les essais nucléaires ou l’utilisation d’armes chimiques.
Plus inquiétant encore, la loi française n° 2008-696 du 15 juillet 2008, relative aux archives, stipule que tous les documents relatifs aux armes de destruction massive sont inaccessibles. Cette législation empêche historiens et chercheurs d’accéder aux dossiers potentiellement cruciaux pour établir la présence de substances toxiques enfouies en Algérie.
Une quête de justice
L’exemple des déchets nucléaires abandonnés dans le désert algérien démontre la capacité de la France à laisser derrière elle un héritage mortel, sans souci des populations locales. Ce manque de responsabilité continue de peser lourdement sur les victimes des essais nucléaires et des gazages chimiques, qui réclament justice. Malgré les révélations, la France semble réticente à dévoiler les pratiques coloniales qui ont marqué son histoire en Algérie. Le refus persistant de nettoyer les sites contaminés et de fournir à Alger la cartographie de ces sites ne fait qu’aggraver les tensions entre les deux nations. Si Paris aspire véritablement à une réconciliation historique avec Alger, il est impératif qu’il rompe le silence et assume pleinement ses responsabilités.
L’enjeu n’est pas seulement diplomatique, il est également humanitaire. Les victimes des essais nucléaires continuent de réclamer justice, et celles des gazages chimiques méritent, elles aussi, que la lumière soit faite sur ce pan sombre de l’histoire coloniale de la France. Tant que le secret sera entretenu, les soupçons persisteront et le sentiment d’injustice demeurera intense.