Algérie-France : nouvelle crise

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Par M. Mansour

L’Algérie a annoncé le retrait de son ambassadeur à Paris, en réaction au soutien sans équivoque d’Emmanuel Macron au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental. Pour Alger, cette prise de position constitue une validation inacceptable d’un «fait colonial» à la fois «injustifiable» et «inopportune». Cette «inflexion» de la politique étrangère française pourrait avoir des répercussions significatives sur divers domaines de coopération entre les deux pays, à l’instar de ce qui s’est produit avec l’Espagne, dont la position sur cette question était pourtant un peu plus nuancée. Pedro Sánchez a, en effet, exprimé que le plan marocain «d’autonomie» pour le Sahara occidental constituait «la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend». Mais la France, par la voix de son président,  a clairement affirmé que le plan d’autonomie marocain «constitue désormais LA SEULE base pour aboutir à une solution politique», ce qui place de ce fait la France en dehors des normes de la légalité internationale et exacerbe les tensions avec Alger.

 

«Un calcul politique douteux»

La réaction officielle de l’Algérie ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué, le ministère des affaires étrangères a qualifié la décision française d’«inattendue, inopportune et contre-productive». Pour Alger, le soutien explicite de la France au plan d’autonomie marocain est perçu non seulement comme un «calcul politique douteux», mais également comme un a priori moralement contestable. En d’autres termes, l’Algérie considère que cette démarche française, loin de se conformer aux principes de justice et d’équité, favorise des intérêts étroits au détriment des normes de la légalité internationale.

«Le gouvernement français a fini par donner sa caution franche et catégorique au fait colonial imposé au Sahara occidental. Ce pas qu’aucun autre gouvernement français avant lui n’avait cru devoir franchir, le gouvernement actuel l’a fait avec beaucoup de légèreté et une grande désinvolture, sans en mesurer lucidement toutes les retombées potentielles», a déploré le ministère des affaires étrangères et de la communauté nationale à l’étranger dans son communiqué.

Et d’ajouter : «En reconnaissant le plan d’autonomie marocain comme la seule base de règlement du conflit du Sahara occidental dans le cadre de la prétendue souveraineté du Maroc, le gouvernement français bafoue la légalité internationale, prend fait et cause pour la négation du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, se démarque de tous les efforts patients et persévérants déployés par les nations unies à l’effet de parachever la décolonisation du Sahara occidental et manifeste une abdication des responsabilités particulières qu’il doit assumer, en toutes circonstances, comme membre permanent du conseil de sécurité».

 

Retrait de l’ambassadeur

En conséquence, Alger a décidé de retirer son ambassadeur auprès de la République française avec «effet immédiat». La représentation diplomatique algérienne en France sera désormais assurée par un chargé d’affaires. Il semble que le retrait de l’ambassadeur ne soit pas simplement un geste symbolique, mais qu’il puisse aussi engendrer des répercussions significatives sur les relations entre les deux pays, qui paraissaient pourtant en voie de réchauffement dans plusieurs domaines.

Les relations politiques entre Alger et Paris avaient récemment montré des signes positifs. Lors du sommet du G7 à Bari, en Italie, mi-juillet, une rencontre chaleureuse entre Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron avait capté l’attention. Une dynamique similaire avait été observée lors de la COP27 en novembre 2022 en Egypte, où le président français avait salué le succès de la 31e session du sommet arabe, qui s’était tenue une dizaine de jours plus tôt à Alger. Quelques mois auparavant, lors de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, les deux chefs d’Etat avaient posé les jalons d’une refondation des relations bilatérales sur des bases solides. Cette visite avait été un moment clé, favorisant une réconciliation symbolique, un renouvellement du partenariat et un engagement réaffirmé pour l’avenir des relations entre les deux pays. Cependant, cette dynamique semble aujourd’hui compromise par une démarche française qui a entraîné un recul des relations, plongeant celles-ci dans une période d’incertitude sans précédent.

Outre les implications politiques, cette démarche pourrait également avoir des répercussions significatives sur la coopération économique. Par exemple, l’engagement de Business France en Algérie avait revitalisé les échanges commerciaux entre les deux pays grâce à des initiatives destinées à renforcer leurs relations économiques. Cette dynamique est désormais menacée. Les entreprises françaises telles que Total et Engie, ayant investi dans les secteurs de l’énergie et des nouvelles technologies en Algérie, pourraient également se retrouver confrontées à une incertitude croissante concernant leur avenir dans la région. Des secteurs tels que l’industrie pharmaceutique, l’agriculture et l’automobile, où des projets comme la reprise de Renault en Algérie étaient en cours, pourraient également être affectés.

Le 24 juin dernier, l’ambassadeur de France en Algérie avait discuté avec le ministre de l’industrie, Ali Aoun, des opportunités dans le secteur industriel, en mettant l’accent sur le marché des médicaments et des composés pharmaceutiques, soulignant leur importance pour les deux pays. L’émergence de ces tensions pourrait, là aussi, nuire à ces discussions et aux projets en cours, créant des incertitudes pour les entreprises françaises ayant prévu des investissements majeurs.

Sur le plan sécuritaire, la coopération entre Alger et Paris avait également été renforcée par des rencontres bilatérales marquantes, comme la visite du général Saïd Chanegriha en France en janvier 2023 précédée par la venue à Alger en août 2022 du  ministre des armées françaises, Sébastien Lecornu, accompagné du général d’armée, Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. Cette première visite en 17 ans avait mis en lumière le rôle crucial de l’Algérie dans la sécurité régionale et continentale. Les échanges avaient notamment porté sur la lutte contre les réseaux terroristes au Sahel, où la collaboration avec les services algériens a été saluée par tout le monde, dont les USA, et la France elle-même qui, rappelons-le, a des intérêts économiques et stratégiques dans la région, puisque Areva s’approvisionne essentiellement en uranium de cette partie de l’Afrique. Cependant, la nouvelle situation risque de compromettre ces efforts conjoints, mettant en danger les initiatives de sécurité et la coordination régionale.