Algérie-France : Tebboune désigne les maux

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Tebboune reçoit le MAE de Tunisie

Par M. Mansour

Dans l’entretien accordé au quotidien français «L’Opinion», le président Tebboune a mis en lumière les maux qui gangrènent les relations entre l’Algérie et la France, des relations marquées, depuis l’indépendance, par des hauts et des bas. La crise diplomatique actuelle est aujourd’hui qualifiée de la plus grave de l’histoire contemporaine des deux nations, selon l’historien Benjamin Stora. Toutefois, cette détérioration rapide, qui s’est intensifiée ces derniers mois, n’est pas le fruit du hasard. Elle intervient dans un contexte international particulièrement tendu, où l’Algérie subit des pressions en raison de ses positions fermes sur des dossiers cruciaux.

 

Dossier sahraoui

Fidèle à son principe de défense du droit international, l’Algérie a fermement dénoncé l’agression israélienne contre Ghaza et soutient sans réserve le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Or, ces dernières années, la question du Sahara occidental a été instrumentalisée, notamment par des puissances occidentales, comme une monnaie d’échange diplomatique. Dans ce cadre, le Maroc a joué un rôle stratégique, en utilisant cette question pour obtenir des bénéfices diplomatiques considérables, en particulier en signant les accords d’Abraham en 2020. Et c’est là le premier mal de cette relation algéro-française qui se dégrade, que le président Tebboune a abordé, en rappelant qu’il s’agissait d’une violation de la légalité internationale, en parlant de l’alignement de la France sur les thèses marocaines.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que, dans ce climat de recomposition des alliances géopolitiques, des forces en Occident, liées au lobby sioniste, cherchent à affaiblir l’Algérie. A titre d’exemple, cela se manifeste par le rôle joué par des figures comme Vincent Bolloré, propriétaire d’un empire médiatique puissant, qui joue un rôle clé dans la formation d’une opinion publique défavorable à l’Algérie. A travers des relais politiques comme Bruno Retailleau et d’autres acteurs, ces lobbies s’alignent avec les intérêts du Maroc et du lobby sioniste, influençant ainsi la politique étrangère française vis-à-vis d’Alger.

La reconnaissance par Emmanuel Macron de la «marocanité» du Sahara occidental a marqué un tournant décisif dans les relations algéro-françaises. Dans son entretien avec «L’Opinion», le président Tebboune a révélé avoir averti son homologue français lors de leur rencontre en Italie en juin 2023 : «Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre». En soulignant qu’il siégeait au Conseil de sécurité des Nations unies, le président Tebboune a rappelé à son homologue français que sa position allait à l’encontre de la légalité internationale, insistant sur son caractère illégal.

 

L’extrême droite et son discours anti-algérien

La montée en puissance de l’extrême droite française, et les discours hostiles à l’Algérie qu’elle a engendrés, ont également été désignés par le président Tebboune comme un autre mal qui ronge cette relation algéro-française. Lors de cet entretien, il a souligné qu’«il y a des déclarations hostiles tous les jours de politiques français, comme celles du député de Nice, Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’«Etat voyou», ou du jeune représentant du Rassemblement National, Jordan Bardella, qui parle de «régime hostile et provocateur», a-t-il déploré. Ce qui est inquiétant, c’est l’émergence de responsables gouvernementaux particulièrement hostiles à l’Algérie et qui commettent des dérapages qui, loin d’être des faits isolés, s’inscrivent dans une stratégie délibérée visant à «affaiblir l’Algérie sur la scène internationale».

 

L’affaire Sansal

Outre la question du Sahara occidental, Alger reproche à Paris d’instrumentaliser certains dossiers pour alimenter la crise. C’est le cas de l’affaire Boualem Sansal, qu’on veut faire passer pour un «combattant de la liberté», symbolisant l’atteinte aux libertés. Pour le président Tebboune, cette affaire, qui aggrave les différends entre les deux pays, n’est en réalité qu’une «affaire scabreuse visant, là aussi, à mobiliser contre l’Algérie», pointant du doigt les liens entre l’écrivain et certains cercles politiques français ainsi que ses relations étroites avec le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Le dossier des visas est un autre levier de tension, désigné par le chef de l’Etat comme un vulgaire prétexte. La France continue de durcir sa politique en matière de délivrance de visas, notamment sous la pression de l’extrême droite qui réclame la dénonciation des accords de 1968 régissant la circulation des Algériens. «Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies. Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001 ?», s’est interrogé M. Tebboune, ajoutant que «certains politiciens prennent le prétexte de ces accords pour s’attaquer aux accords d’Evian, qui ont régi nos relations à la fin de la guerre», déplorant une tentative de réécriture de l’histoire.

 

Décontamination des déchets nucléaires

Par ailleurs, le dossier sensible de la décontamination des sites d’essais nucléaires a été soulevé par le président Tebboune qui a dit que «la France doit nous dire avec précision les périmètres où ces essais ont été réalisés». Il évoque aussi les armes chimiques utilisées à Oued Namous, soulignant qu’il est crucial de «ne pas mettre la poussière sous le tapis» et de régler ces contentieux de manière définitive.

 

Un avenir incertain, mais un dialogue nécessaire

Ce que l’on comprend au terme de cet entretien, c’est que les relations algéro-françaises sont actuellement au point mort sur le plan politique, mais le président Tebboune souhaite éviter une rupture totale : «Je maintiens le cheveu de Muʿawiya», une référence à l’équilibre fragile du calife omeyyade pour prévenir l’affrontement. Cependant, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en France pourrait exacerber la situation. Marine Le Pen a déclaré vouloir traiter l’Algérie comme la Colombie, menaçant de suspendre visas, transferts financiers et aide au développement. Des menaces que le président Tebboune a balayées, soulignant que «l’Algérie n’a pas besoin de cet argent».