Par Zine Haddadi
Lors de sa rencontre avec la presse diffusée samedi soir, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a tracé la voie que doit prendre la refondation des relations algéro-françaises dont il avait convenu avec le président français Emmanuel Macron.
Le chef de l’Etat a ciblé le mal, qui du côté français, empêche l’Algérie et la France d’aller vers la refondation de leurs relations comme convenu avec le président français.
Abdelmadjid Tebboune a évoqué sans détour les pressions exercées par les courants hostiles à l’Algérie (droite et extrême droite) notamment sur les dossiers de la mémoire et celui de l’immigration.
C’est en évoquant le travail de la Commission mixte constituée par l’Algérie et la France sur le dossier mémoriel que le président Tebboune a pointé l’impact de ces courants obsédés par l’Algérie.
Ce dernier a estimé que ladite Commission «a joué son rôle au départ, mais son travail a été impacté par les déclarations politiques d’une minorité française hostile à l’Algérie».
«Nous réclamons la vérité historique et exigeons une reconnaissance des massacres commis par la colonisation française qui était une colonisation de peuplement et nous n’accepterons pas les mensonges colportés sur l’Algérie», a-t-il averti.
Le vrai grand remplacement
Le président de la République a pris le temps de rappeler la réalité des crimes coloniaux français en Algérie par une expression habituellement utilisée par les hommes politiques de droite et d’extrême droite, à savoir le grand remplacement.
Rétablissant des faits historiques, Abdelmadjid Tebboune a affirmé que «l’Algérie a été choisie pour le grand remplacement, le vrai grand remplacement consistant à chasser la population locale pour ramener une population européenne avec des massacres, avec une armée génocidaire».
«Je n’accepte pas les mensonges sur l’Algérie. Nous étions une population d’environ 4 millions, et 132 ans plus tard nous étions à peine 9 millions. Il y a eu un génocide», a rappelé le chef de l’Etat.
Tout en rappelant ces faits, le président de la République a précisé que «l’Algérie est toujours encline à la coexistence pacifique avec tout le monde, mais pas au détriment de sa dignité et de son histoire». Il a ainsi laissé la porte ouverte à une évolution positive dans les relations algéro-françaises à l’avenir.
La France a été réticente à reconnaître ses crimes coloniaux en Algérie. Abdelmadjid Tebboune a donné l’exemple des essais nucléaires de Reggane, un dossier sur lequel la France a longtemps tergiversé, notamment en ce qui concerne le nettoyage des sites qui ont servi au lancement de l’expérience nucléaire française du temps de sa présence en Algérie.
«Vous voulez qu’on soit amis, venez nettoyer les sites des essais nucléaires», a lancé le président Tebboune à la France.
Sur l’obsession des courants hostiles à l’Algérie en France a réclamer la révision des accords de 1968 entre les deux pays, Abdelmadjid Tebboune a bien pris le soin de démontrer que ces revendications relèvent plus de l’idéologie que d’une position politique réfléchie, basée sur des faits.
Il a assuré que cet accord «n’affecte en rien la qualité de la migration ni la sécurité de la France», soulignant que toute allégation contraire «est une contre-vérité qui participe du chantage visant à instiller la haine de l’Algérie en France».
Pour le président Tebboune, l’accord de 1968 est devenu un «étendard derrière lequel marche l’armée des extrémistes». Sa position est corroborée par le deux poids, deux mesures affiché par le nouveau ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau, qui montre une certaine bienveillance face au Maroc sur le dossier de l’immigration, tout en promettant un bras de fer à l’Algérie. Ce sont ces positions haineuses qui obstruent toute avancée positive dans les relations entre les deux pays.
Visite en France : «Je n’irai pas à Canossa»
Quand il a cité le sort de sa visite programmée en France, Abdelmadjid Tebboune a puisé loin dans l’histoire européenne pour sortir une expression avec laquelle il a expliqué les raisons pour lesquelles elle n’aurait pas lieu dans les conditions actuelles.
«Je n’irai pas à Canossa», a déclaré le président Tebboune. L’expression «Aller à Canossa», popularisée par le chancelier allemand Bismarck à la fin du XIXe siècle, signifie aller supplier un pardon.
Son origine remonte au XIe siècle, l’empereur germanique Henri IV, qui s’était rendu dans la ville italienne de Canossa pour y implorer le pape Grégoire VII de lever l’excommunication dont celui-ci l’avait frappé. C’est par cette manière que le président Tebboune a expliqué que dans le contexte actuel, il perçoit le fait de se rendre en France comme une façon de s’humilier et qu’il était hors de question de le faire.
Ainsi, pour le chef de l’Etat, les choses sont claires quant au chemin que doit prendre la France pour avoir des relations apaisées avec l’Algérie.
Cependant, c’est pour Emmanuel Macron que les choses doivent être claires, lui qui malgré le fait qu’il ait montré des indices de volonté de ne pas atteindre le point de rupture dans les relations algéro-françaises, demeure coincé par une réalité politique interne dans laquelle l’extrême droite semble avoir les clés du jeu.
La nomination d’un gouvernement très à droite dont le ministre de l’Intérieur a multiplié les piques envers l’Algérie, a répondu à un calcul politique franco-français. Emmanuel Macron a été contraint de satisfaire l’extrême droite pour s’assurer de la survie du gouvernement qu’il a nommé.
Le président français connaît désormais ce qu’il doit faire pour que les relations franco-algériennes prennent le chemin de la refondation.