Ali Bey Nasri, expert en export et ancien président de l’association des exportateurs : «Il y a un très fort potentiel à mobiliser à l’export»

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Ali Bey Nasri, expert en export et ancien président de l'association des exportateurs : «Il y a un très fort potentiel à mobiliser à l'export»

Entretien réalisé par : R. AKLI

Experte et consultant en commerce extérieur, ancien président de l’association nationale des exportateurs algériens (Anexal), Ali Bey Nasri accompagne depuis de longues années l’activité du secteur de l’export en Algérie, dont il a suivi de près les différentes phases d’évolution durant cette dernière décennie.

Dans cet entretien, il nous livre une analyse objective et sans complaisance sur la nouvelle dynamique que connaît actuellement l’activité nationale à l’export en hors hydrocarbures, ses perspectives d’évolution à court et moyen termes, ainsi que les contraintes qui restent encore à lever pour parvenir à doper et à diversifier les ventes du pays à l’étranger.

Comment analysez-vous la croissance exceptionnelle qu’ont connue les exportations du pays en hors hydrocarbures en l’espace d’à peine deux années ?

Il est clair que les exportations du pays en hors hydrocarbures ont enregistré des résultats excellents, avec une augmentation de 300%, soit une multiplication par trois, ce qui est un chiffre très important. Si l’on se réfère à 2020, nous étions en effet à 2,2 milliards de dollars d’exportations en hors hydrocarbures et l’on est passé désormais à un niveau de 6,6 milliards de dollars, ce qui est clairement excellent.

Néanmoins, il reste désormais à diversifier la gamme des produits algériens à l’export, car actuellement le profil de ces exportations est concentré sur cinq produits qui totalisent près de 80% des ventes du pays à l’étranger, à savoir les naphtas comme le méthanol et autres, les fertilisants (engrais), les produits sidérurgiques comme le fil d’acier, le ciment et le
rond à béton, ainsi que certains produits agroalimentaires.

Quels sont les autres secteurs et produits sur lesquels il faudrait justement miser pour parvenir à diversifier les exportations du pays en hors gaz et pétrole ?

Il y a de nombreux autres secteurs qui peuvent exporter très aisément, car ils ont la taille critique qu’il faut pour y arriver avec des entreprises qui ont la capacité financière et la puissance de production nécessaire pour être compétitives à l’export. Il s’agit en l’occurrence des secteurs de l’électroménager, du pharma (industrie du médicament), de la
céramique, du BTPH, mais aussi d’un autre grand secteur dont on ne parle malheureusement pas beaucoup, soit celui des services.

Nous avons en effet de grandes entreprises de réalisation comme Cosider et d’autres, qui peuvent être très actives sur le marché africain.

Que faut-il faire pour permettre de libérer cet important potentiel à l’export ?

Aujourd’hui, le pays dispose désormais du potentiel et des conditions nécessaires pour accéder au marché africain. Le plus grand problème reste celui lié à la réglementation des changes. Il faut savoir qu’en Afrique, il y a beaucoup de marchés informels et donc l’absence dans certains cas de circuits commerciaux organisés.

Aussi, il faut ouvrir la voie aux entreprises algériennes pour qu’elles puissent développer
leurs propres réseaux commerciaux afin de pouvoir augmenter leurs ventes. Nos entreprises ont aujourd’hui la maîtrise et l’expertise qu’il faut pour cela, et il faut donc leur
faire confiance et les soutenir pour s’installer par elles-mêmes et développer leur réseaux, car il n’y a pas mieux que l’entreprise elle-même pour placer et promouvoir son propre produit à l’étranger et pouvoir y assurer son propre service après-vente.

L’ouverture de succursales bancaires algériennes à l’étranger permettra-t-elle de libérer davantage l’acte d’exporter ?

La présence de banques algériennes à l’étranger est très importante, car elle permet d’assurer la sécurité des transactions et des transferts financiers, d’apporter un
éclairage à l’extérieur sur l’économie du pays et de drainer un véritable portefeuille clients pour les exportateurs algériens.  C’est donc du « tout bénéfice ».

Quel est aujourd’hui le potentiel réel qui peut être rapidement mobilisé pour accroître les exportations du pays en hors hydrocarbures ?

Il y a effectivement un très fort potentiel à mobiliser à l’export. Le secteur de l’électroménager à lui seul peut avoir aisément un potentiel d’exportation de pas moins de
500 millions de dollars dans les deux ans à venir, si les facilitations nécessaires à cet effet sont mises en place et pour peu que les entreprises du secteur puissent être soutenues
pour créer librement leur réseaux commerciaux à l’export, notamment sur les marchés africains.

Quelles sont les entraves qui restent encore à enrayer pour favoriser davantage l’acte d’exporter ?

Pour accélérer le développement des exportations hors hydrocarbures, il faut œuvrer notamment à réduire le coût de la logistique pour améliorer la compétitivité de nos produits, mais aussi développer des réseaux commerciaux à l’extérieur avec l’accompagnement de l’État et surtout assouplir la réglementation de change. Il
s’agit en fait de veiller seulement à assurer les mêmes conditions à l’export que celles qui existent dans la plupart des autres pays. Ni plus ni moins !

Et c’est en ce sens que la réglementation des changes doit absolument être adaptée aux besoins de développement des exportations hors hydrocarbures, de sorte à ce qu’elle soit un soutien et non une contrainte pour les entreprises exportatrices.

La Banque d’Algérie devrait inscrire la promotion des exportations hors hydrocarbures
parmi ces missions essentielles.

L’Algérie doit-elle miser essentiellement sur le marché africain pour espérer diversifier ses exportations ?

Le marché africain n’est pas le seul débouché possible pour les exportations algériennes. En fait, cela dépend surtout des produits à exporter. Les entreprises algériennes peuvent être compétitives sur bien d’autres marchés comme par exemple pour l’électroménager
qui est déjà exporté vers certains pays d’Europe.

Il faut cibler également les marchés où le pouvoir d’achat des ménages permet de mieux placer certains produits, à l’instar de certains pays d’Europe, du Moyen-Orient ou autres.

Encore faut-il s’adapter aussi à certaines normes de qualité exigées par les réglementations en vigueur dans de nombreux pays…

Pour ce qui est des normes de qualité exigées à l’étranger, les entreprises algériennes sont tout à fait à même de s’y adapter. D’ailleurs, les pays de l’union européenne sont aujourd’hui le premier client de l’Algérie, notamment pour les fertilisants et les naphtas. Il est clair qu’il faut œuvrer encore à améliorer davantage les normes de qualité pour ce qui est des produits industriels afin de mieux pouvoir les exporter, mais cela ne constitue pas
réellement une contrainte.

D’ailleurs, nous avons même réussi à exporter très normalement des jus fabriqués en Algérie vers le marché américain, de même qu’on peut trouver aujourd’hui des marques
d’eau minérale algériennes dans certaines grandes surfaces de pays européens.

R.A.

RÉPARTITION PAR ZONES DES EXPORTATIONS HORS HYDROCARBURES (en millions de dollars)

EVOLUTION DES EXPORTATIONS HORS HYDROCARBURES SUR LES 3 DERNIÈRES ANNÉES (en millions de dollars)