Par R. Akli
Les temps semblent devenir de plus en plus difficiles pour la place du Square Port- Saïd à Alger, plaque tournante du commerce informel des changes, qui évolue ces derniers jours au rythme des nouvelles mesures annoncées par les pouvoirs publics et qui participent à perturber fortement les courants d’offre et de demande de devises qui nourrissent habituellement l’activité clandestine de ce marché. Attentisme et frilosité règnent ainsi depuis près d’une semaine au Square, les cambistes informels préférant attendre et voir venir sur un marché devenu soudainement trop acheteur et sans direction claire, les offreurs tendant plutôt à s’abstenir d’y céder leurs devises face au climat d’incertitude et d’instabilité qui s’y installe. Coup sur coup, le marché parallèle des changes subit ainsi les contrecoups des récentes décisions annoncées par les pouvoirs publics, celles relatives à la suspension des immatriculations des véhicules importés de moins de trois ans d’abord, et puis l’annonce faite hier en réunion du Conseil des ministres, d’acter désormais une revalorisation «substantielle» du montant de l’allocation touristique.
Vent de panique
S’il est, sans doute, encore trop prématuré pour jauger de l’impact effectif de ces nouvelles mesures sur l’évolution future de ce marché illégal mais toléré, il est néanmoins évident qu’un vent de panique commence à souffler sur la place du Square, les voitures importées de moins de trois ans et les dépenses des particuliers pour leurs voyages à l’étranger constituant ordinairement des niches précieuses pour le commerce informel des devises. Aussi, l’officialisation d’une prochaine augmentation «considérable» de l’allocation touristique, dont le montant n’a pas évolué d’un iota depuis plus de 25 ans, laisse d’emblée entrevoir un certain rétrécissement de la demande en devises sur le marché parallèle, les cambistes informels anticipant d’ores et déjà un tel impact, d’où vraisemblablement leur attitude présente à spéculer essentiellement à l’achat et très faiblement à la vente. A fortiori lorsque l’on sait que ce nouveau facteur d’incertitude intervient quelques jours à peine après l’annonce du gel des procédures de délivrance de cartes grises pour les véhicules importés de moins de trois ans, sachant que ces importations ont totalisé plus de 386 millions de dollars durant la période allant de 2023 aux six premiers mois de 2024, selon les chiffres des Douanes, repris récemment par des médias nationaux. Des montants traités en général sur le marché informel des changes, qui voit ainsi se tarir et jusqu’à nouvel ordre le filon juteux des «moins de trois ans»…
Rapprochement des parités
Aussi, la monnaie européenne, devise vedette du Square, a vu son cours commencer déjà à fléchir, bien que relativement, pour s’établir autour de 250 DA pour un euro, après avoir évolué de record en record durant ces derniers mois, atteignant même, il y a à peine moins d’une semaine, un plus haut jamais vu auparavant de 260 DA pour un euro dans certaines régions du pays. Gel des immatriculations des véhicules importés de moins de trois ans, relèvement substantiel à venir de l’allocation touristique, mise en place prévue de bureaux de change, redressement progressif de la parité officielle du dinar, mais aussi prémices d’une relance attendue de l’industrie locale de téléphones mobiles, produit dont le commerce actuel à l’import constitue également une niche d’activité importante pour le marché parallèle des devises… Autant de vents contraires venus soudainement contrarier la quiétude pourtant bien établie du Square, freinant ainsi d’un coup l’incessante spirale haussière qu’il connaissait, depuis plusieurs mois et en toute conjoncture, les cours informels de l’euro et autres devises fortes. Reste qu’à terme, la réponse structurelle à apporter au phénomène très préjudiciable du marché noir des changes devra passer indispensablement par le rapprochement des parités officielle et informelle de la monnaie nationale et l’accroissement de l’offre de change accessible aux opérateurs et aux particuliers. Un challenge qui devra passer à son tour par l’amélioration des performances de l’économie nationale et la diversification de ses sources de revenus en devises.