Colonialisme-nazisme : l’analogie qui dérange

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Par M. Mansour

L’éviction de Jean-Michel Aphatie de RTL pour avoir osé comparer le sort d’un petit village français martyrisé pendant la Seconde Guerre mondiale à celui du peuple algérien sous la colonisation ne relève pas d’une simple polémique médiatique. Elle révèle, en réalité, la persistance d’un déni historique en France, où toute tentative d’établir un parallèle entre les violences du passé colonial et d’autres tragédies survenues en France est immédiatement frappée d’anathème. Cet épisode illustre avec force la sensibilité exacerbée des relations mémorielles entre Paris et Alger, dans un contexte où la crise diplomatique actuelle est alimentée par une droite et une extrême droite françaises qui, loin de vouloir apaiser les tensions, exploitent l’histoire à des fins électoralistes. En accusant l’Algérie de vivre de sa «rente mémorielle», c’est en réalité une certaine classe politique française qui instrumentalise ce passé, flattant une partie de l’opinion publique encore nourrie de nostalgies impériales. Cette dynamique négative alimente, chez certains historiens algériens éclairés comme Hosni Kitouni, un profond scepticisme quant à la réelle volonté de la France de dépasser son arrogance, de reconnaître la brutalité de son œuvre coloniale et d’instaurer enfin une relation d’égal à égal avec l’Algérie.

Tout est parti d’un constat historique. Jean-Michel Aphatie a rappelé un massacre emblématique pour la mémoire collective française, celui de 350 femmes et enfants brûlés vifs dans une église par les nazis à Oradour-sur-Glane en 1944. Il a ensuite souligné une vérité que beaucoup refusent d’entendre, à savoir que la France coloniale a perpétré en Algérie des atrocités d’une nature similaire, voire autrement plus barbares. La réaction ne s’est pas fait attendre. Plutôt que d’admettre l’évidence, une vague d’indignation a conduit à son renvoi de RTL. Au-delà du scandale médiatique, cette affaire met en exergue une réalité historique dérangeante. La colonisation française en Algérie fut un projet de domination fondé sur la violence, la répression et la spoliation.

 

Le deux poids, deux mesures

Pendant plus d’un siècle, les Algériens ont subi ce que l’Europe n’a connu que sous l’occupation nazie. Pourtant, alors que les crimes de certains régimes, comme celui de Vichy sous le maréchal Pétain, ont été officiellement reconnus en 1995 dans un discours historique du président Jacques Chirac, qui admettait pour la première fois la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, ceux du colonialisme français en Algérie demeurent minimisés, voire justifiés. Pire encore, ils risquent de ne jamais être pleinement reconnus, tant la France, y compris sous la présidence d’Emmanuel Macron, refuse de s’y résoudre. Certes, des avancées symboliques ont été faites, comme la reconnaissance de l’assassinat d’icônes de la Révolution algérienne telles que Larbi Ben M’hidi, Ali Boumendjel, ou encore Maurice Audin, mais ces gestes restent ponctuels, donnant l’impression d’un pas en avant suivi de dix en arrière.

 

Les preuves accablantes

Si l’on revenait à l’affaire Aphatie, on remarquera que plusieurs voix, dont celle du journaliste Edwy Plenel, ont apporté des preuves irréfutables confirmant la justesse de ses propos. Face caméra, Plenel a fait référence à des extraits de correspondances de militaires français datant des premières années de la colonisation. Ces documents, sans détour, décrivent les crimes innommables commis au nom d’une prétendue mission civilisatrice, justifiée par la grandeur impériale. Ces récits d’un autre temps résonnent encore aujourd’hui dans les discours d’une partie de la classe politique française qui, dans sa majorité, semble s’enfermer dans une rhétorique de supériorité civilisationnelle. Cette vision héritée du passé colonial alimente une perception de l’«autre» comme une menace, une altérité à contenir, voire à éliminer.

 

Une réconciliation mémorielle impossible ?

Dans ce contexte, la réconciliation des mémoires, condition préalable à un apaisement entre Etats, s’avère extrêmement difficile. De l’autre côté de la Méditerranée, on dénonce l’incapacité de la France à reconnaître pleinement les ravages du colonialisme, fondé sur le racialisme et l’effacement identitaire des peuples colonisés. Pourtant, cette reconnaissance demeure un tabou pour une partie de la droite française, notamment ses franges les plus conservatrices et radicales, ainsi que les groupes d’influence qui les soutiennent. Pire encore, certains s’emploient à défendre une vision idéalisée de la colonisation, occultant le fait que, depuis 1830, celle-ci a coûté la vie à plus de cinq millions d’Algériens.

L’historien algérien Hosni Kitouni, qui intervenait sur North Africa Talks, analyse cette crispation mémorielle comme un facteur majeur dans les tensions actuelles entre Alger et Paris. Selon lui, l’obstacle à la réconciliation ne vient pas de l’Algérie, mais bien d’une partie de la société française, et en particulier de la droite conservatrice, qui refuse d’admettre que la colonisation fut un acte de barbarie.

Pour Kitouni, une réconciliation authentique ne peut advenir sans une reconnaissance complète du colonialisme comme un crime en soi, et non comme une succession de faits isolés. «Tant que la France n’aura pas accompli un véritable travail d’introspection sur son passé, le dialogue avec l’Algérie restera biaisé», mais malheureusement, souligne-t-il, «de nombreuses rues en France portent encore les noms de figures coloniales comme Pélissier, Cavaignac et Bugeaud, qui furent des acteurs majeurs de la colonisation en Algérie. Pour lui, cela symbolise le refus de la France d’affronter son passé colonial».

 

Des symboles coloniaux encore omniprésents !

L’historien se pose également la question de savoir comment on peut parler de réconciliation sans enlever ces noms des rues. Selon lui, tant que ces symboles persistent dans l’espace public, il est illusoire de prétendre vouloir apaiser les mémoires. Il étend cette critique aux musées français, où des tableaux glorifiant la colonisation continuent d’être exposés. Pour lui, «ces éléments témoignent du refus d’une véritable reconnaissance des crimes coloniaux», reflet d’une nostalgie toxique risquant de coûter cher à la France.