Crise du gaz : Comment l’Algérie peut soulager l’Europe ?

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ALG Gaz

/Quelle que soit l’issue du conflit qui oppose actuellement la Russie à l’Ukraine, une des conséquences sera sans aucun doute un désengagement européen d’une dépendance au gaz russe au profit d’autres fournisseurs.

Actuellement, l’une des principales cartes dans la manche de la Russie, pour répondre aux actions de l’Occident, concerne le gaz. Selon les données de l’Office statistique européen (Eurostat), on estime qu’à la fin de l’année dernière, 41% du gaz naturel utilisé par l’Union européenne provenait de Russie, tandis que l’Agence russe de contrôle de l’énergie a indiqué qu’à la fin décembre 2021, sous des courtes périodes, le niveau a même atteint près de 50%. Ces chiffres révèlent que près de la moitié de l’approvisionnement en ressources gazières du vieux continent dépend directement de ce pays. Mais vers quelles autres options que la Russie l’Europe pourrait-elle se tourner tout en prenant en compte l’accroissement de la demande en gaz mais surtout  l’abandon des centrales à charbon appelées à mettre la clef sous la porte prochainement ?

Actuellement, la consommation de cet hydrocarbure dans toute l’Union européenne (UE) dépasse 500 milliards de mètres cubes. L’UE devrait se tourner dans un premier temps vers les fournisseurs en GNL. En ce sens, l’Australie, le Qatar et les États-Unis seraient d’excellents candidats. Ils sont actuellement les principaux exportateurs de gaz naturel liquéfié comprimé. Mais l’ensemble des spécialistes estiment que le recours aux gazoducs représente des solutions plus viables et surtout plus sûres en termes de sécurité énergétique. Bien évidemment, dans cette optique, l’Algérie parait bien placée pour pallier en partie le boycott partiel du gaz russe par l’Europe. Hier, par le biais de son PDG, le géant algérien des hydrocarbures Sonatrach a montré sa disponibilité «à soutenir ses partenaires de long terme». En rappelant les capacités de transport vers l’Europe dont dispose actuellement la compagnie qu’il dirige notamment en gaz naturel, Toufik Hakkar évoquera le chiffre de 42 milliards de m3 dont au mieux 30 milliards sont utilisés. Ainsi, Sonatrach est prête à transporter vers l’Europe au moins 12 milliards de m3, en l’acheminant notamment via le gazoduc Transmed reliant l’Algérie à l’Italie. Seulement pour le n°1 de la compagnie nationale, des apports supplémentaires en gaz naturel ou gaz naturel liquéfié (GNL) restent tributaires de la «disponibilité de volumes excédentaires après satisfaction de la demande du marché national et des engagements contractuels envers les partenaires étrangers», a-t-il ajouté.

«2 à 3 milliards de m3 supplémentaires tout de suite»

L’ancien ministre algérien de l’Energie, Abdelmadjid Attar, abonde dans le même sens. Pour lui, l’Algérie pourrait optimiser l’utilisation du gazoduc italien en le poussant au maximum de ses capacités. Tout comme le PDG de Sonatrach, Attar rappellera les formidables capacités en GNL dont dispose le pays. «Les unités de liquéfaction qui existent en Algérie ne sont exploitées qu’à 50/60% de leurs capacités», dira-t-il. Dans l’immédiat, Attar estime que l’Algérie pourrait augmenter ses exportations de 2 à 3 milliards de m3 supplémentaires. Intervenant sur les colonnes de l’Algérie aujourd’hui, M. Attar se veut néanmoins, pragmatique. Il nous déclare que «ni l’Algérie, ni un autre pays ne pourrait compenser la baisse d’approvisionnement en gaz russe en Europe». A court terme, il quantifie les capacités de gaz supplémentaire que pourrait fournir notre pays à l’UE à «deux ou trois milliards de mètres cubes de plus » au grand maximum. Selon lui, les données pourraient être différentes à moyen terme, «c’est-à-dire dans quatre ou cinq ans», dira t-il. «De grandes quantités pourraient être mises à la disposition du marché européen», poursuit Attar, pour peu que de gros moyens soient mis en place pour développer de nouvelles réserves qui incluraient du gaz non conventionnelle dont regorge le sous sol algérien. A ce sujet, on estime à 20.000 milliards de m3, les réserves de gaz de schiste dont dispose l’Algérie. Intervenant sur la radio nationale, un ancien cadre de la Sonatrach, M. Hached avait estimé que «l’heure est venue pour exploiter le gaz non conventionnel surtout eu égard aux prix du gaz affichés actuellement sur les marchés internationaux». Sur un ton ironique, il interpellera les Européens qui sont vent debout contre l’utilisation du gaz de schiste alors qu’actuellement, «l’Europe se fournit de manière massive en gaz américain qui est essentiellement du gaz non conventionnel.»

Les plus hautes autorités du pays annoncent un investissement de 39 milliards de dollars entre 2022 et 2026 dans l’exploration, la production et le raffinage de pétrole ainsi que dans la prospection et l’extraction de gaz. Avec pour un premier temps une enveloppe de 8 milliards de dollars uniquement pour l’année en cours, comme annoncé par M. Hakkar sur les colonnes de Liberté.

Le projet Midcat et le veto français

Le projet Midcat qui a récemment été ressorti des tiroirs de l’UE devait voir le jour il y a plus de trois ans. Il s’agissait d’une initiative ambitieuse : un investissement de 442 millions d’euros pour construire un grand gazoduc qui acheminerait le gaz d’Algérie puis stocké en Espagne vers le reste des pays européens, notamment la France et l’Allemagne. L’ancien président de la Commission d’experts pour la transition énergétique, Jorge Sanz, explique à la presse espagnole que les gazoducs du sud de l’Europe sont de faible capacité et c’est dans ce contexte qu’il faut inscrire la construction du Midcat. «Cela signifierait la création d’un grand pipeline qui traverserait les Pyrénées», dira-t-il.

L’Espagne qui compte actuellement six usines de regazéification dédiées à la conversion du gaz, a pour ambition de jouer un rôle prédominent dans le futur gazier de l’ensemble du continent européen. Avec les six usines espagnoles auxquelles s’ajoute celle située au Portugal, la péninsule ibérique est bien mieux dotée que le reste des pays du cœur de l’Europe, comme la France, où elles ne sont que trois, tandis que l’Allemagne, qui vient de suspendre l’approbation de Nord Stream 2 avec la Russie, n’en a aucune.

Le projet Midcat a déjà été enterré en 2019, lorsque le régulateur français a contraint son homologue espagnol à ne pas procéder à la création du gazoduc. Actionnée sans aucun doute par un puissant lobbying du nucléaire français, cette décision a mis quasiment une année pour être entérinée par une décision que l’Union européenne. Aujourd’hui, en Espagne des voix s’élèvent pour dénoncer cette décision. Au milieu de la guerre en Ukraine, on s’interroge sur l’échec de la tentative de création de ce projet qui devait faire de l’Espagne un hub gazier européen avec du gaz qui devait essentiellement provenir d’Algérie. Joe Biden et la commissaire européenne ont récemment plaidé pour la relance du Midcat. La question pourrait être abordée aujourd’hui lors d’une réunion extraordinaire du Conseil des ministres européens en charge de l’Energie qui doit se tenir à Bruxelles.

C. S.