Pour la première fois depuis l’indépendance, le Conseil d’État algérien est intervenu pour invalider l’élection du président de l’Union nationale des ordres des avocats. Cette décision historique, rendue jeudi dernier, fait suite aux recours déposés par plusieurs bâtonniers, notamment ceux d’Alger, Blida, Tlemcen, Boumerdès, ainsi que par le bâtonnier défait de Béjaïa, Abderrahmane Driss, qui contestaient la régularité du scrutin ayant porté Ibrahim Taïri à la tête de l’organisation.
Les principaux griefs concernaient un manque de transparence et des irrégularités dans la chronologie des élections du 3 mai. Un juriste interrogé par Algérie Aujourd’hui a expliqué : «Il y a eu un vice de procédure avec la précipitation dans la tenue du scrutin national alors que le renouvellement des Conseils des ordres régionaux n’avait pas été achevé. Le scrutin aurait dû avoir lieu à l’issue du renouvellement des bâtonnats régionaux».
Selon la loi algérienne et la pratique récente, l’élection du coordinateur national ne peut se tenir qu’après la clôture des délais de recours relatifs au renouvellement des conseils régionaux. Autrement dit, un délai doit séparer les deux scrutins afin de garantir que toutes les contestations éventuelles au niveau régional soient réglées avant l’élection nationale. Bien que la loi ne fixe pas un nombre précis de jours, la jurisprudence et la pratique imposent que l’élection nationale intervienne seulement après la validation définitive des résultats régionaux, généralement 15 à 30 jours après les élections régionales. Un autre avocat a confirmé : «L’élection nationale a été organisée alors qu’une dizaine de recours étaient encore en cours d’examen. Le renouvellement des conseils régionaux devait normalement être finalisé, avec tous les recours épuisés, avant l’élection du coordinateur national».
Une vive contestation s’est manifestée dès le lendemain du scrutin, notamment de la part des barreaux de Boumerdès, d’Alger et de Tlemcen. Face à cette mobilisation, Ibrahim Taïri a réagi en publiant, deux jours plus tard, un communiqué sur le site officiel de l’Union nationale des ordres des avocats (UNOA). Il y a dénoncé des campagnes «menées selon des méthodes éloignées des valeurs de la profession» et a défendu un scrutin «qui s’est déroulé en toute transparence».
Qualifiant l’argument de la chronologie des délais entre les élections régionales et nationale «d’innovation juridique», il a estimé qu’attendre l’achèvement du renouvellement des conseils régionaux aurait pu entraîner une paralysie de l’UNOA jusqu’à trois années.
Alliances et lobbying
Sur les accusations de régionalisme portées par certains barreaux, le bâtonnier réélu a répondu en mettant en avant les wilayas d’origine des deux vice-présidents élus : Béchar Belmhel Sabah, bâtonnier de Mascara, et Hassani Abdellah, bâtonnier de Relizane.
Un avocat qui a assisté à toutes les péripéties de cette élection inédite a évoqué une lutte d’influence entre différentes régions pour la présidence de l’UNOA, opposant notamment les conseils de l’ordre de l’Est à ceux du Centre et de l’Ouest. Dans cette bataille de lobbying marquée par des tensions, les barreaux d’Alger, de Blida et de Béjaïa ont fait front commun en soutenant la candidature d’Abderrahmane Driss, bâtonnier de Béjaïa, estimé le plus à même de porter leur vision. Mais malgré cette alliance stratégique, le scrutin a finalement tourné en faveur d’Ibrahim Taïri, qui l’a emporté avec 14 voix contre 11.
L’annulation prononcée par le Conseil d’État, qui porte atteinte à l’image de l’Union nationale des ordres des avocats, impose désormais l’organisation d’un nouveau scrutin, conformément aux procédures légales, afin de restaurer la légitimité et la représentativité de l’organisation. Ce qui devrait intervenir dans les prochaines semaines, une fois que tous les recours régionaux seront épuisés.
S.Ould Ali