Djamel Eddine Guechi professeur en économie du développement : «Rater le coche de la révolution numérique sera très préjudiciable»

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Entretien réalisé par Mohamed Medjahdi  

 

La bataille du numérique est au cœur de la nouvelle Algérie en cours de construction. Elle est à la base des enjeux du développement économique et social du pays dans son projet de réforme systémique pour un arrimage aux défis de la globalisation…

Dans ce contexte, l’Algérie a déjà mis en évidence une panoplie d’outils pour suivre l’évolution moderne hissant l’étendard du développement.

Entretien avec  Djamel Eddine Guechi, professeur des universités en économie du développement à l’Ecole nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée, consultant formateur et expert consultant en économie.

 

Le président de la République insiste beaucoup sur  l’introduction du numérique dans tous les secteurs économiques du pays pour plus de statistiques économiques fiables et la construction d’une économie nationale moderne et un Etat prospère. Quelle lecture faites-vous ? 

Je trouve cette initiative très louable et je pense qu’il est en effet vraiment temps de passer au numérique dans tous les secteurs d’activité. Ce passage devra permettre d’importants gains de temps, la réactivité et l’efficacité de tous les agents économiques dans tous les secteurs d’activité économique. Tout simplement, aujourd’hui l’humanité fait face à une révolution sans précédent, car l’information devient multicanal et multimédia et se diffuse en temps réel. L’entreprise étendue compose avec le monde extérieur et se maille avec ses clients, partenaires et fournisseurs. Donc, la numérisation va de pair avec les communautés professionnelles qui voient leurs frontières se déplacer, devenir plus ouvertes et reconfigurables.

 

Peut-on dire aujourd’hui que l’Algérie vit réellement sous l’effet des innovations numériques ? 

Depuis l’avènement de l’ouverture économique et le passage à l’économie de marché, l’Algérie vit en effet réellement sous l’effet des innovations numériques.

On peut remarquer cela dans de nombreux domaines, tels que le commerce électronique via les réseaux sociaux ou l’on peut trouver d’innombrables sites marchands (Ouedkniss…), le transport via les différentes applications de transport (Yassir…), le secteur financier avec les distributeurs automatiques… L’Algérie ne peut donc pas rester en marge de ce mouvement universel.

 

Quelle doit être la politique numérique pour l’industrie, l’économie et pour les start-up en Algérie ? Et quel enjeu pour l’entreprise du futur à l’heure d’une accélération de la transformation numérique ? 

Comme dans tous les domaines d’activité socioéconomique, le rôle de l’Etat est très déterminant : tout se fait avec lui et rien ne peut se faire sans lui. La politique de développement du «numérique» doit tout d’abord être élaborée à la base, en considérant tous les paliers du secteur de l’éducation et mettant en œuvre des programmes de formation destinés à tous les niveaux du secteur (primaire, moyen et secondaire), de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur.

La politique numérique doit également englober tous les aspects qui favorisent l’achat et l’utilisation de matériel. En plus des investissements dans les infrastructures d’éducation et de formation, il serait nécessaire d’envisager la mise en œuvre de programmes, tels la mise à la disposition gratuite ou fortement subventionnée des écoliers, des collégiens et des lycéens de tablettes informatiques, d’ordinateurs portables…

Ce sera certainement l’une des plus intelligentes et efficaces mesures des volets des programmes publics de subvention. Je pense que le retour sur investissement devrait sûrement être acquis à très moyen terme.

 

 

Et qu’en est-il des défis d’adaptation des entreprises algériennes à l’économie numérique ? 

L’adaptation des entreprises algériennes à l’économie numérique est fondamentale. Ceci est particulièrement essentiel grâce à l’acquisition d’importantes capacités de transmission et de traitement de données toujours plus massives, le développement de l’intelligence artificielle et des objets connectés…

L’appropriation de ces technologies par les entreprises permettra des innovations majeures à la fois sur les procédés (gains de productivité) et sur les produits (nouveaux marchés, nouveaux produits ou services).

Du point de vue économique, l’apparition d’acteurs économiques puissants (les entreprises les plus puissantes du monde de l’internet (Google, Apple, Facebook et Amazon) qui ont acquis un pouvoir économique et financier considérable, parfois supérieur à celui des Etats. Ces firmes, communément appelées «GAFA», réorganisent les chaînes de valeur et imposent de nouveaux modèles d’affaires et d’intermédiation.

Dans tous les secteurs, les entreprises doivent s’adapter pour mieux répondre aux attentes des consommateurs et à la concurrence de ces nouveaux acteurs, en déployant des innovations organisationnelles et de marketing.

Enfin, du point de vue des nouveaux modes de sociabilité et d’actions collectives, le numérique stimule à présent les innovations d’usage et de consommation (consommation collaborative, coproduction et diffusion de connaissances, communautés…), ce remet également en question les pouvoirs centralisés et la souveraineté des Etats et appelle à de nouvelles formes de régulations économiques et de gouvernance.

 

Au sujet de la révolution numérique et les risques économiques…

La révolution numérique est aujourd’hui une réalité dans tous les secteurs de l’économie. Le numérique modifie en profondeur les manières de produire, d’échanger et de consommer.

Pour la plupart des entreprises, internet est devenu un canal de communication et de vente incontournable. Il est donc nécessaire d’accroître les compétences numériques des analystes financiers travaillant sur l’évaluation des start-up. Ceci dit, l’économie numérique en Algérie connaît plusieurs défis, et les responsables économiques doivent prendre de nouvelles mesures pour améliorer la performance de la technologie en Algérie.

Tous les secteurs doivent engager des actions de modernisation de leurs instruments et de leurs modes de gestion des services publics et privés de manière à répondre au mieux aux besoins en prestations des usagers économiques. Rater le coche de la révolution numérique sera très préjudiciable à l’économie algérienne à tous les niveaux.

 

Quels sont enjeux et perspectives de l’économie numérique en Algérie ? 

Les enjeux sont très importants et nous accusons un important retard dans la connaissance, la maîtrise et la pratique de l’économie numérique.

Je pense néanmoins que les ressources humaines nationales disponibles sur le territoire national, et particulièrement la jeunesse, sont très réceptives à l’innovation technologique et à son apprentissage. Il nous faudra également trouver les moyens de faire participer aux efforts l’élite algérienne éparpillée un peu partout dans le monde et qui ne demande pas mieux, me semble-t-il, comme je l’ai constaté à travers mes lectures, que de participer au développement de l’économie nationale. Nous pourrons ainsi relever le défi, mais les efforts de l’Etat doivent être conséquents, les programmes bien élaborés et canalisés et la mise en œuvre bien contrôlée de manière à bien utiliser cette intelligence collective dont dispose l’Algérie.