Entretien réalisé par NABIL M.
Au lendemain du coup d’envoi de l’exploitation de l’une des plus grandes réserves mondiales de phosphate, la mine de Bled El Hadba dans la wilaya de Tébessa, par le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, l’expert en énergie et mines, le Dr Ali Kefaïfi revient dans cet entretien sur les potentialités de cette mine et l’avenir du secteur de la production des engrais en Algérie.
Nous avons assisté ce samedi au lancement des travaux du projet du phosphate intégré de Bled El Hadba à Tébessa. Quelle est l’importance de ce projet ?
C’est un projet très important, car nous avons de belles réserves de phosphate estimées à 2 à 3 milliards de tonnes. Certes, d’autres pays sont plus nanties que nous, mais puisque nous avons de l’énergie pour faire fonctionner les usines de l’ammoniac, cela devient très intéressant pour le pays, notamment pour la production des engrais NPK (azote phosphate et potassium). Cela m’amène à rappeler que nous avons le plus grand gisement de potasse (K) au monde. Mais ce qui compte dans tout cela, c’est l’aspect économique, notamment la rentabilité de ces minerais.
Mais comment l’Algérie pourra-t-elle se placer sur les marchés extérieurs avec ce projet ?
Pour les marchés extérieurs, ce n’est pas seulement le phosphate qui est important, mais aussi ses dérivés. Il faut passer par trois étapes dans cette industrie. En premier, il y a l’extraction du phosphate, qui est un minerai que l’on doit transformer en acide phosphorique dans une deuxième étape. Pour passer après à la troisième étape qui est la plus importante : la production d’engrais, qui sera soit du NPK ou alors une famille de 5 à 6 types d’engrais. Le marché pour ces produits existe, avec une consommation en continu, surtout avec le développement de l’agriculture en Afrique, mais aussi en Europe, au Brésil, en Asie et dans d’autres pays encore.
Il y a justement une usine lancée à Souk Ahras…
Exactement. Vous savez, le phosphate c’est bien, mais il faudra le valoriser et le transformer en engrais, et cette usine de production de fertilisants qui sera lancée dans la wilaya de Souk Ahras constitue l’étape de fabrication d’engrais à partir de phosphate. Pour les exportations de l’Algérie, ce projet est aussi bénéfique car il n’y a pas beaucoup de pays qui ont de l’ammoniac, qui est actuellement produit avec du gaz et même avec du charbon dans certains pays comme l’Inde. Ce qui est encore mieux, c’est que dans les prochaines années, l’ammoniac sera produit avec de l’hydrogène qui sera à l’avenir disponible pour l’Algérie. Dans ce cadre, il faut rappeler que l’Algérie dispose de l’un des plus grands gisements au monde de ce qu’on appelle l’hydrogène natif ou blanc, qui se trouve dans le sous-sol comme le gaz. Et si l’Algérie produit son ammoniac à partir de cette ressource (hydrogène blanc) il sera très concurrentiel, car cet hydrogène coûte 24 fois moins cher que l’hydrogène vert.
L’Algérie a décidé de prendre en charge ce projet seule à travers les groupe Sonatrach et Sonarem. Avons-nous aujourd’hui la capacité de le faire, sans avoir recours aux partenaires étrangers ?
Pour prendre en charge un projet de cette importance, il faut avoir de la bonne formation et de l’expérience à tous les niveaux. Moi, j’étais à la tête d’un grand complexe à Skikda, et je peux vous dire qu’il y a une bonne expérience de la main-d’œuvre algérienne. Ce projet pourra être géré à 100% par des compétences nationales et qui, si besoin, pourront se rendre à l’étranger pour des assistances techniques.
Qu’en est-il de l’aspect technologie ?
Pour le côté technologique, notamment les constructions de machines, etc. viendra le jour où notre pays maîtrisera ce volet qui est actuellement dominé par les Chinois et les Allemands, mais pour la gestion, je peux affirmer en tant qu’ancien gestionnaire d’Asmidal et responsable aussi au ministère de l’Energie et celui de l’Industrie qu’on a assez de savoir-faire et de compétences. On pourra même ramener des anciens gestionnaires à la retraite pour des besoins de formation et d’encadrement.
Je peux dire que le ministre a très bien fait de prendre cette décision et cette politique qui s’appuie sur les compétences nationales va réussir et l’Algérie sera un très grand acteur dans le domaine des engrais et je sais qu’un jour Asmidal sera cotée en Bourse à l’étranger.
Peut-on dire qu’avec ces projets miniers lancés dernièrement, l’Algérie est en train de vivre une nouvelle dynamique dans le secteur minier ?
Je peux dire que l’Algérie est en train de se réveiller avec ces grands projets miniers. L’avantage aujourd’hui, c’est que nous avons tout ce qu’il faut : le marché mondial nécessite une maîtrise des coûts et de la qualité, et nous avons aussi toutes les ressources pour réussir.
Que pensez-vous des autres grands projets miniers lancés ces dernières années ?
Le secteur minier connaît une bonne dynamique. Il y a des qualités, mais aussi des insuffisances qui heureusement peuvent être réglées. Dans le projet de la mine de Gara Djebilet, ce gisement depuis sa création par la nature contient du phosphore, qui touche deux aspects : environnemental et chimique-économique, ce qui nécessite un traitement avec l’acide sulfurique. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a de moinerie de fer ailleurs. A Gara Djebilet, on parle de 3 milliards de tonnes, moi je sais qu’on a des gisements qui atteignent 25 milliards de tonnes.
Concernant le projet de zinc et plomb d’Oued Amizour, c’est un très bon projet dans lequel il faudrait mettre des conditions de rentabilité. C’est un projet qui doit être très rentable pour pouvoir utiliser ce bénéfice pour instaurer les bonnes mesures environnementales et aussi financer les dépenses nécessaires en matière de protection de l’environnement.
En conclusion, nous allons vers la valorisation de nos gisements et ce qui est intéressant, c’est que le marché existe et il est africain, américain, etc. et l’agriculture a besoins de ces ressources, ce qui est bénéfique pour notre agriculture et pour l’export aussi.