Dr Saïd Beghoul, expert pétrolier : «Un baril à moins de 60 $ n’arrangera ni l’OPEP ni les groupes américains»

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Pétrole : le Brent frôle les 80 dollars

Entretien réalisé par Abdellah B.

 

 

Les marchés pétroliers commencent à se ressaisir après les agitations qu’ils ont connues ces derniers jours. Le Dr Saïd Beghoul, expert pétrolier, revient dans cet entretien accordé à «L’Algérie Aujourd’hui» sur les perspectives de l’évolution de la situation à très court terme. En l’absence de marge de manœuvre pour le contrôle des prix de l’or noir, M. Beghoul estime que l’Algérie est dans l’obligation de diversifier ses exportations pour se mettre à l’abri d’un éventuel choc pétrolier.   

 

Les cours du baril reprennent lentement leur courbe ascendante ces derniers jours. Est-ce que cela augure d’un retour à la stabilité des marchés pétroliers très agités par les effets de la politique commerciale américaine ?

Les marchés pétroliers ont été surpris par les décisions inattendues du président américain et les taxes douanières qui ont été annoncées couvrant de nombreux pays, ce qui a fortement impacté les cours du baril ayant pris une chute vertigineuse en passant de 75 à 63 dollars le baril en l’espace de 10 jours. Il faut savoir que dans ce genre de situation, la chute des prix est toujours plus rapide que la reprise. Certes, les incertitudes planent encore sur le marché en attendant l’entrée effective des mesures douanières annoncées par l’administration américaine dans un délai de 90 jours. L’éventuel maintien de ces mesures aura un impact sur l’offre mondiale, même si les hydrocarbures ne sont pas directement concernés par les impositions douanières américaines. Grand défenseur d’un baril à moins de 60 dollars, Donald Trump se trompe désormais car, à mon avis, les cours ne baisseront pas à ce niveau car il fera face à un problème interne qui va à l’encontre de sa politique de forer à n’importe quel prix. La question qui se pose est comment convaincre les pétroliers américains d’augmenter leur production dans un climat de déclin des prix ? La réponse est simple. Un prix plus bas du pétrole n’arrange ni les pétroliers américains ni les autres pays producteurs comme ceux de l’OPEP+. Une telle situation découragera les investissements et engendrera une réduction de l’offre, ce va générer des effets contraires à ce qui est attendu de la politique trumpiste en faveur d’un baril à bas prix.

 

Cette chute des prix est-elle donc éphémère ?

A mon avis, les marchés ont vite réagi sous l’effet de la nouvelle politique commerciale américaine, mais cette situation ne durera pas au vu des besoins du marché. Plusieurs paramètres sont en faveur d’une reprise graduelle, même lente, du cours du pétrole qui a atteint hier près de 68 dollars le baril contre 64 dollars lundi dernier. Les perspectives à très court terme indiquent un baril entre 65 et 75 dollars en attendant l’évolution de la situation dans les trois prochains mois.

 

 

Quelle serait la prochaine réaction du cartel pour garantir une stabilité des prix ?

Certes, le cartel a été pris de court. L’OPEP+ avait annoncé au début du mois une augmentation de 411 000 barils par jour pour le mois de mai, soit près du triple de ce qui était annoncé précédemment pour la même période, à savoir 135 000 barils. Cette décision a été rendue publique avant que le président américain ne déclenche une guerre commerciale qui a fortement perturbé les marchés pétroliers, même si les hydrocarbures ont été exclus des mesures douanières américaine. Si l’administration américaine ne recule pas, l’OPEP sera dans l’obligation de revenir à sa politique de «coupe». Une manière de garantir un équilibre entre l’offre et la demande et par conséquent une stabilité des prix. C’est donc le retour aux fondamentaux dans un marché mondial en pleine perturbation.

 

Un baril à 60 dollars serait-il rentable pour les producteurs de l’or noir dont fait partie l’Algérie ?

Certes, l’Algérie va voir ses recettes réduites, mais cela ne sera pas une catastrophe pour le pays puisque la loi de finances 2025 est établie sur un prix référentiel de ce niveau. Maintenant, si le baril rechute sous la barre des 60 dollars, la situation sera différente. D’ailleurs, un tel prix n’est pas uniquement non rentable pour l’Algérie, mais aussi pour les acteurs américains actifs dans le schiste et qui sont appelés par Trump à multiplier les forages. Ces derniers ont besoin d’au moins un baril à 65 dollars, puisque l’exploitation du schiste est coûteuse, d’une part, et d’autre part, il faut tenir compte de la cherté des prix de l’acier et des équipements importés des pays soumis à de nouvelles taxes. Cela pour dire qu’une baisse des prix du pétrole comme le veut Trump est un pari perdu d’avance.

 

 

Comment agir face à la perturbation et à la dégradation des marchés pétroliers pour un pays comme l’Algérie ?

Les cours du pétrole dépendent du marché international et la clé n’est entre les mains d’aucun pays producteur. La seule manière d’agir efficacement dans ce genre de situation est la diversification de nos exportations hors hydrocarbures. C’est la seule marge de manœuvre qui nous permettra d’agir et de nous mettre à l’abri face à d’éventuels chocs pétroliers.