Elevage camelin : Avenir prometteur pour la filière

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Par Mohamed Medjahdi

L’élevage camelin est considéré comme une filière stratégique. Vu sa place importante dans l’économie locale et régionale, les autorités ne cessent d’œuvrer pour développer sa productivité et mettre en valeur la viande de chameau.

Le dromadaire, sans lequel les grandes civilisations nomades n’auraient jamais pu exister, occupe une place prépondérante dans la vie économique et sociale des communautés sahariennes qui vivaient en harmonie avec leur milieu caractérisé pourtant par des conditions de vie d’une extrême vigueur, a indiqué le Pr Hakim Senoussi, du laboratoire Bioressources Sahariennes : Préservation et Valorisation de l’université Kasdi Merbah de Ouargla.

Rencontré à Tlemcen, le Pr Senoussi a rappelé que «l’histoire des régions oasiennes était inséparable de l’histoire du grand commerce transsaharien et c’est à partir du VIIIe siècle que les routes de l’or alimentaient le Moyen-Orient à partir du Soudan en se déplaçant de la vallée du Nil vers le Sahara occidental et central. Par le «pont» du massif du Hoggar s’établissaient des liaisons entre Soudan et Maghreb central, aboutissant à Sidjilmassa et plus tard à Ouargla.»

En Algérie, a souligné notre interlocuteur, le dromadaire a fait l’objet de peu d’attention ; il s’agit d’un élevage marginalisé dont le véritable sursaut n’a été enregistré qu’au seuil des années 2000. «Sous l’ère coloniale, l’Algérie fut marquée par une baisse drastique de ses effectifs camelins, passés de 260 000 têtes en 1890 à 154 000 sujets en 1961. Situation qui trouve son explication par la politique de littoralisation basée sur l’exportation des richesses, tout en considérant le Sahara comme étant un territoire militaire. Dès lors que les communautés nomades subissent de véritables restrictions à l’égard de leurs déplacements inhibant la mobilité des troupeaux».

 

Le cheptel a doublé en 20 ans

Cependant, estime le Pr Senoussi, «ce n’est que vers les années 2000 que s’annonce le décollage de l’élevage camelin, à un moment où les effectifs allaient crescendo, passant de 220 000 têtes en 1999 à 459 616 sujets en 2022, soit le double en l’espace de deux décennies». Cette notable progression des effectifs, précise-t-il, est due à l’ancrage spatio-temporel des troupeaux camelins autour et à l’intérieur des centres urbains, des suites de la sédentarisation des communautés chamelières, la prime à la naissance initiée à travers le Fonds national de régulation et du développement agricole en 2000, d’une part, et, d’autre part, à la demande accrue du lait de chamelle, semblent être les principales raisons du regain d’intérêt à l’égard de l’élevage camelin.
Sur le plan de la fonction économique, le Pr Senoussi a mis en exergue cet axe qui se traduit par différentes fonctions s’insérant dans les trois composantes de l’économie cameline : l’économie domestique, non pas par la génération de revenu monétaire mensuel de la commercialisation des produits, mais par l’autoconsommation par la famille, ainsi que par d’autres utilisations (sport, folklore, tradi-thérapie), l’économie marchande concernant les animaux sur pied, la viande, le lait et le poil, ce commerce étant réalisé par l’intermédiaire de plusieurs filières, et enfin l’économie de service qui se traduit par les différentes activités englobant les secteurs sportifs, touristiques et artistiques.
Par ailleurs, a ajouté le Pr Senoussi, «la nécessité de répondre à la demande en protéines (viande et lait), va de pair avec la démographie urbaine, dès lors qu’on assiste à des changements notables dans l’organisation des systèmes d’approvisionnement. L’illustration frappante réside dans la partie orientale du Sahara septentrional algérien où le lait de chamelle, autrefois offert gracieusement et dont la vente était considérée comme tabou, a fini par être écoulé suite à une demande accrue, et ce, au regard de ses vertus thérapeutiques.» Aussi, fera remarquer notre interlocuteur, «la peau cameline, produit jeté dans la nature, appelé à s’intégrer dans l’industrie de transformation à travers la gamme de produits qui pourraient être élaborés aussi bien dans le cosmétique que la confiserie à travers l’extraction de la gélatine qui, grâce à ses multiples propriétés, pourrait occuper une place de choix dans l’agro-industrie utilisée pour gélifier, épaissir, stabiliser, émulsifier et donner une consistance crémeuse. Ce produit polyvalent peut être exploité dans divers domaines telles que la confiserie, la pharmacopée et le cosmétique à un moment où des travaux ont prouvé le bien-fondé de la valeur ajoutée qu’accorde la gélatine ainsi extraite à partir d’un produit déclassé, en l’occurrence la peau. Cette dernière est aussi exploitée et valorisée au regard de sa solidité et sa texture, en procurant une matière souple servant pour la confection de sangles, de lanières ou de sacs, des semelles et des récipients pour le puisage de l’eau.»

Pour sa laine (loubar), le Pr Senoussi a fait savoir que «le poil de dromadaire est fortement intégré à la fois dans l’économie ménagère et régionale à travers le rôle de la femme pour le tissage et les artisans via la confection d’une gamme de produits textiles très prisés et à haute valeur marchande. Cette dernière est la conséquence de la qualité du poil dont la finesse, la légèreté, l’imperméabilité et la couleur y sont pour beaucoup».

 

3 grandes aires d’élevage

Confiné principalement dans trois grandes aires d’élevage, en l’occurrence le sud-sst, le sud-ouest et l’extrême-sud, le troupeau camelin, selon le Pr Senoussi, est cantonné dans les wilayas sahariennes à hauteur de 83% et 17% en milieu steppique. Chose qui témoigne de son rôle stratégique dans les zones arides, où il revêt un intérêt particulier du fait qu’il évolue dans un espace vulnérable où d’autres alternatives d’élevage seraient onéreuses.

Selon lui, le dromadaire incarne un statut exceptionnel, certes considéré comme un bien, voire un capital pour les chameliers et leurs familles, révélant un prestige important alors que sa possession confère la capacité de survie qu’il apporte par sa résistance et sa grande mobilité.

«En effet, c’est à l’extraordinaire gamme de produits fournis et services assurés que cet animal offre des produits carnés et lactés, et parallèlement il donne du poil à tisser, mais aussi de la peau et du crottin à valoriser dans l’industrie de transformation, il est athlétique dans les courses, exhibé dans des festivités et instrument de défense et de sécurité», a-t-il mentionné ajoutant que «la mise en place en 2019 du Conseil interprofessionnel de la filière cameline serait le catalyseur de l’élevage et précurseur de l’économie, aussi bien à l’échelle régionale que nationale, en générant davantage d’emplois réguliers et contribuant à la satisfaction des besoins d’une population en plein essor démographique. Cette nouvelle donne institutionnalisant la filière cameline interpelle de prime à bord la profession qui servira à la promotion et la consolidation des chaînes de valeur liées à la filière cameline dans un processus de développement intégré.» En conclusion, dira le Pr Senoussi, «elles sont nombreuses les fonctions qui sont d’actualité dont la logique est certes différente mais à impacts certains qui veulent pour le dromadaire comme un animal du futur grâce à ses qualités exceptionnelles d’adaptation qu’il développe, tant sur le plan anatomique et physiologique que comportemental, demeurant sans conteste un excellent convertisseur d’une maigre végétation en produits vitaux variés et source de multiples usages. En somme, c’est au grand chapelet de ses produits et services que s’ouvrent désormais de nouvelles perspectives en termes de filières et vocations camelines.»