Elle refuse de décontaminer les sites ni même de transmettre les cartes topographiques : La France signe un autre crime

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Essais nucléaires

Par M. Mansour

 

Le Sahara algérien porte encore aujourd’hui les stigmates d’un crime d’Etat. Entre 1960 et 1966, la France y a mené 17 essais nucléaires, d’abord sous l’ère coloniale, puis après l’indépendance, au mépris des populations locales et de ses propres soldats mobilisés sur place. Ces explosions ont laissé des séquelles irréparables, tant sur les êtres humains que sur l’environnement. Soixante-cinq ans plus tard, un autre scandale perdure : la France refuse toujours d’assumer ses responsabilités. Les sites contaminés restent un danger silencieux, les archives essentielles à leur localisation demeurent classifiées, et l’indemnisation des victimes n’effleure même pas l’esprit des dirigeants français.

 

Il y a 65 ans jour pour jour

Le 13 février 1960, la France entre officiellement dans le club des puissances nucléaires avec l’opération «Gerboise bleue», une explosion de 70 kilotonnes dans le désert de Reggane. Cette bombe, trois fois plus puissante que celle d’Hiroshima, pulvérise le sol du Sahara, projetant un nuage radioactif qui traverse l’Afrique du Nord et atteint même l’Europe méridionale, le Nigeria et le Soudan.

Mais les autorités françaises ne se contentent pas de tester la bombe, elles veulent aussi observer ses effets sur les êtres humains. A quelques kilomètres du point d’impact, des militaires français, mais surtout des prisonniers algériens, sont exposés volontairement aux radiations. Les archives et témoignages révèlent des scènes glaçantes, où certains soldats marchent en direction du champignon atomique, sans protection, tandis que d’autres sont placés dans des bunkers pour tester leur résistance aux secousses de l’explosion. Un crime prémédité, digne des heures les plus sombres des empires coloniaux.

Après Reggane, la France poursuit ses expérimentations dans les montagnes du Hoggar, à In Ekker. Là, entre 1961 et 1966, treize essais souterrains sont réalisés. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Le 1er mai 1962, l’essai Béryl tourne au désastre lorsque le tunnel censé contenir l’explosion cède, libérant un flot de matières radioactives. Plusieurs militaires français présents sur le site sont grièvement irradiés, certains vomissant du sang en quelques heures. Parmi les témoins de la catastrophe, des ministres français, dont Pierre Messmer et Gaston Palewski, qui contracteront plus tard de graves maladies. C’est dire à quel point la France s’est peu préoccupée des conséquences en se lançant dans ces essais aux effets dévastateurs. Après tout, pourquoi aurait-elle fait preuve de retenue ? Depuis le début de la colonisation, son objectif n’a jamais été autre que d’anéantir l’Algérien, par le feu, par le sang, et cette fois, par les effets de la bombe atomique.

Pour preuve, les populations locales n’ont jamais été informées ni protégées. A Reggane, à In Salah, à Tamanrasset, des dizaines de villages sont touchés par les retombées radioactives. Les habitants rapportent des cas de brûlures inexpliquées, de cancers foudroyants, de malformations congénitales. Mais dans les archives françaises, le silence est total. Pas d’études, pas de suivi médical, pas de reconnaissance. Comme si ces victimes n’existaient pas.

 

Un Sahara radioactif pour des millénaires

L’horreur ne s’est pas arrêtée avec la fin des essais. Aujourd’hui encore, le Sahara algérien est contaminé. Les explosions ont laissé des cratères de verre radioactif, des débris de métal hautement toxiques, des particules de plutonium enfouies sous le sable. A In Ekker, les tunnels utilisés pour les essais souterrains continuent de relâcher des radiations.

A Reggane, les habitants racontent qu’après les explosions, les militaires français abandonnaient sur place du matériel contaminé, que les bergers et les enfants récupéraient sans se douter du danger. Aucune mesure de décontamination n’a jamais été prise. Pire encore, selon des experts, des déchets nucléaires auraient été délibérément enfouis sur place, sans balisage, transformant le Sahara en une bombe à retardement.

L’eau, le sol, l’air, tout a été touché. Des études scientifiques montrent que certaines zones autour des anciens sites d’essais affichent encore des niveaux de radiation dangereux. Pourtant, la France refuse toujours de transmettre les cartes topographiques précises permettant d’identifier ces lieux contaminés. Un refus qui condamne les populations locales à vivre dans l’ignorance et le danger permanent. C’est dire que la France d’aujourd’hui commet un autre crime qui vient s’ajouter à celui de l’époque coloniale.

 

Silence, déni et faux-semblants

Face aux conséquences des essais nucléaires en Algérie, la France s’enferme dans un déni persistant. Pendant des décennies, elle a minimisé l’impact de ces explosions et évité toute reconnaissance officielle. Ce n’est qu’en 2010 – sous la pression des associations – que la loi Morin a été adoptée pour indemniser les victimes. Mais cette loi demeure inefficace et ses critères restrictifs excluent quasiment la totalité des demandeurs.

Pourtant, en Polynésie, les victimes et leurs descendants peuvent prétendre à une indemnisation, alors que les populations locales du Sud algérien – Touareg et habitants de Reggane et In Ekker – sont exclues. Seuls les vétérans français ayant servi sur ces sites bénéficient d’un droit à réparation.

Dans ce contexte, l’Algérie n’a cessé de réclamer la restitution des cartes topographiques des sites contaminés pour mieux identifier les zones à risque et protéger les habitants. Elle exige aussi que la France prenne en charge la dépollution des lieux, une responsabilité que Paris refuse toujours d’endosser. Récemment, le président Abdelmadjid Tebboune a réitéré cette demande en indiquant : «Ne nous donnez pas d’argent, mais venez nettoyer les sites que vous avez contaminés.»

 

Une responsabilité historique niée

Malgré les appels des associations et des experts, la France persiste dans son refus d’assumer ses responsabilités. En 2021, Emmanuel Macron a bien évoqué la nécessité d’un «travail de mémoire» lors de sa visite en Algérie, mais sans engagement concret. Ce cynisme exacerbe la frustration des victimes et des autorités algériennes.

Patrice Bouveret, Directeur de l’Observatoire des armements, affirme que l’Algérie est en droit d’exiger la dépollution des zones affectées. De son côté, la ministre algérienne de l’Environnement, Nadjiba Djilali, souligne la responsabilité historique, morale et juridique de la France dans cette catastrophe environnementale.

Des solutions ignorées

La loi Morin, censée réparer les préjudices, est une coquille vide. En Algérie, seules deux personnes ont été indemnisées, preuve de son inefficacité. Pourtant, des ajustements simples, comme élargir la liste des maladies reconnues ou revoir les critères géographiques permettraient d’augmenter le nombre de bénéficiaires. Mais la France refuse toujours d’agir.
Tant que Paris ne reconnaîtra pas l’ampleur de ce crime et ne prendra pas les mesures nécessaires, l’ombre de ces essais nucléaires continuera de hanter l’histoire franco-algérienne. Un crime ne s’efface pas avec le temps. Il attend d’être reconnu.