Faiza Khalfaoui, diabétologue : «Il faut démystifier le diabète pour pouvoir le prévenir et le soigner»

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C’EST UN fait établi, beaucoup d’idées reçues gravitent autour du diabète en Algérie, estime la diabétologue Faiza Khalfaoui. « Je vais devenir aveugle », « on va m’amputer », « je ne pourrais plus avoir d’enfants »… Ce sont quelques-unes des préconceptions admises communément par les patients. Ces amalgames donnent du fil au retordre aux médecins et cultivent l’incompréhension.

Dr Khalfaoui est diabétologue et présidente du comité scientifique de l’association des diabétiques de la wilaya d’Alger créé en 1993.

« Aujourd’hui il faut démystifier le diabète pour que les gens aillent se faire dépister. Il y a beaucoup d’idées reçues autour de cette maladie. Dès qu’une personne est diagnostiquée diabétique, elle va systématiquement penser aux complications. Tout ça, parce que les gens s’identifient à d’autres personnes atteintes de diabète dans leur entourage et ce n’est pas sain. Si le diabète est dépisté au niveau du prédiabète, on pourra ainsi le prévenir. Si on fait des examens réguliers, il y aurait moins de diabétiques », insiste-t-elle.

Dr Khalfaoui souligne que des personnes qui ont un diabète depuis 25 ans prennent un traitement et vivent parfaitement avec la maladie. « La complication n’est pas due au diabète mais au déséquilibre du diabète », ajoute-t-elle.

Et si on comprenait ce qui se passe dans notre corps ?

Dr Khalfaoui explique que l’être humain a un système de régulation au niveau du corps. Lorsqu’il mange, la nourriture va passer dans l’estomac. Elle sera dégradée grâce à un liquide appelé le « suc gastrique ». Il y a ensuite une absorption du sucre qui va passer dans la circulation générale, notamment au niveau du pancréas. À ce niveau il y a aura une stimulation des cellules bêta de Langerhans. Celles-ci sont responsables d’une sécrétion d’une quantité d’insuline convenable aux besoins de chacun.

« L’insuline va être libérée dans le sang et partir au niveau des sites de stockage de sucre appelé tissu adipeux. Pourquoi c’est stocké ? Parce que le sucre est un substrat énergétique dont le corps a besoin pour ses activités. Cette énergie on la puise en dégradant le sucre », précise-t-elle.

Cependant, si la personne ne fait pas d’activité physique, si elle est sédentaire, si son alimentation est riche en sucre, et en gras, elle va développer une graisse péri-viscérale abdominale qui va couvrir les viscères. Cette graisse va entraîner une insulino-résistance, c’est-à-dire une diminution de la réponse des cellules, ainsi que des tissus, à l’insuline. Ce qui entraîne le diabète du type 2.

Une maladie découverte par hasard

Faiza Khalfaoui déplore que les patients découvrent qu’ils sont atteints de diabète par hasard. C’est rare qu’une personne s’inquiète pour sa santé et fasse des examens pour savoir que tout va bien, dit-elle.

Elle explique que le diagnostic est posé après une visite médicale dans le cadre de la médecine de travail. Elle cite également que souvent les patients le découvrent après une complication. C’est-à-dire une blessure qui ne veut pas guérir, une insuffisance rénale ou un problème au niveau des yeux. Ou encore le patient le découvre avant une intervention chirurgicale qui demande un bilan préopératoire.

Nous avons fait il y a deux ans une journée de dépistage au niveau du Jardin d’essai.Ce jour-là, j’ai envoyé 5 personnes en cétose diabétique. Ils étaient au stade de complication aiguë du diabète. Ces personnes avaient une glycémie de 4 g et plus. Une dame venue promener ses petits-enfants a accepté de se faire dépister. Nous avons découvert que sa glycémie était à 4 g. Avec un taux pareil, il y a un risque élevé de coma. Nous l’avons envoyée en urgence à l’hôpital », se souvient Faiza Khalfaoui.

«Je n’ai pourtant pas de symptômes»

À l’annonce du diagnostic, les patients sont dans une confusion totale. Ils lient le diabète à l’obésité, surconsommation de sucrerie, ou encore l’âge avancé. Si la personne ne remplit
pas ces critères, elle est souvent choquée d’apprendre qu’elle fait un diabète.

Dans le diabète de type 2 il y a le facteur génétique. Si un des parents est diabétique, on a 40% de risques de faire un diabète. Si les deux parents sont diabétiques, on a 70% de risques de faire un diabète.

Si le patient mange sans faire d’activité physique, il ne va pas brûler l’excédent d’aliments. Résultat : il va les stocker. Il développera une insulino-résistance qui provoque le diabète de type 2.

Pour Dr Khalfaoui, c’est une maladie silencieuse, qui provoque des dégâts importants. Le diabète se manifeste par des symptômes disparates qui peuvent être confondus avec d’autres problèmes de santé.

« Si on prend l’exemple des personnes qui vont souvent aux toilettes dans la journée. Ils me disent qu’ils ont un problème de prostate. C’est vrai que la prostate donne la polyurie, mais il faut comprendre que le diabète donne la polydipsie qui est la sensation exagérée de soif qui mène à la polyurie. On ne doit pas faire d’autodiagnostic. C’est du ressort du médecin », affirme Faiza Khalfaoui.

Un point à ne pas négliger, souligne la diabétologue, cette pathologie est intimement
liée à la qualité de vie. Le stress peut provoquer un diabète.

Il est interdit d’interdire

Lorsqu’une personne est déclarée diabétique, ça veut dire que la moitié du pancréas est inactive, il faut donc préserver l’autre moitié avec une hygiène de vie. Lors des consultations, Faiza Khalfaoui demande toujours à ce que le conjoint soit présent.

Dans le cas où c’est le conjoint qui est atteint de diabète, l’épouse va forcément s’occuper de son régime. À force de vouloir bien faire, celle-ci va lui imposer un régime draconien, et c’est une grosse erreur, selon elle.

Etablir une hygiène de vie doit se faire de manière progressive. Le malade doit comprendre la composition de chaque aliment et comment il peut lui nuire. S’informer est aussi important.

« La charge glucidique de certains aliments est insoupçonnée. Une baguette de pain blanc, c’est l’équivalent de 24 morceaux de sucre, et chaque morceau de sucre pèse environ 5 g. Mais je ne vais jamais dire à mes patients d’arrêter mais de réduire, ou manger du pain de seigle. »

Si le patient flanche et mange un aliment qui lui est interdit, il peut remédier à la situation en faisant de l’activité physique. « Marcher et ne pas flâner. Je dis à mes patients, il faut la marche du facteur », insiste-t-elle.

Faiza Khalfaoui résume : il ne faut pas grignoter entre les repas. Il ne faut pas manger en
regardant la télévision. Le cerveau est mobilisé ailleurs, donc il ne va pas enregistrer l’information de la nutrition. On va donc manger plus. Espacer les repas, éviter le gras de la viennoiserie de bon matin, etc.

Et le jeûne dans tout ça ?

Sur la question du jeûne, c’est une question de calcul selon Faiza Khalfaoui. Cela dépend du profil du patient. Pour établir ce profil, il y a une classification qui a été faite par l’alliance internationale diabète et ramadan.

Ce score de risque permet de savoir si le jeûne est possible ou interdit. Le score contient 14 items. Cette évaluation est un questionnaire qui établit notamment la durée de la maladie, savoir s’il fait des hypoglycémies, connaître son alimentation, etc.

Si le patient présente un score entre 0 et 3 points, le jeûne est permis et le risque de complication est faible. Entre 3,5 et 6 le risque est modéré, il doit donc se surveiller, s’il ne se sent pas bien il doit interrompre le jeûne.

Enfin le jeûne est formellement interdit si le patient présente un score plus de 6. « Si le patient a une rétinopathie diabétique au stade deux, une complication due au diabète qui atteint les yeux, mais à ce stade elle est réversible et il peut revenir à la normale. S’il jeûne, il accélère la maladie au quatrième stade et peut perdre la vue. C’est un exemple des risques du jeûne », alerte Faiza Khalfaoui.

L’association des diabétiques d’Alger œuvre depuis plusieurs années pour une meilleure santé publique. Faiza Khalfaoui informe que l’association ne lésine pas sur les efforts pour que la maladie soit bien prise en charge.

Une mission en particulier mobilise les efforts de tous les membres de l’association : plaider pour la diminution du taux de sucre, qui doit réglementé dans le secteur de l’industrie alimentaire. « Lors du dernier congrès de l’alliance internationale diabète et ramadan, le ministre de la santé, Abdelhak Saihi, a promis que le taux de sucre dans les produits agroalimentaires va être strictement réglementé », conclut-elle.