Ce numéro 0 revient sur une vingtaine d’années de pratiques de terrain autour et sur le cinéma documentaire, pratiques que vous avez initiées à travers le collectif cinéma mémoire en 2007. Le besoin de capitaliser s’est-il fait ressentir ? Pourquoi maintenant ?
Je n’aime pas le mot capitaliser, mais je dirais qu’on a accumulé assez d’expérience et de pratique autour de l’accompagnement à la fabrication de films documentaires de création et de diffusion des films dans les ciné-clubs, les universités, les associations etc., pour se poser et réfléchir collectivement à notre parcours tout en ayant comme motivation de tirer de nouveaux fils créatifs à partir des diverses contributions. Je dirais que cette revue est un nouveau point de départ et non la fin d’un cycle. On a tenu à associer chercheurs, chercheuses, artistes et pédagogues.
Les personnes ayant contribué à ce premier numéro viennent de domaines et de géographies diverses. Comment s’est effectué le choix des contributeurs ? Et quelle ligne leur avez-vous donné en tant que coordinatrice de rédaction ?
Pour le numéro 0, nous avons fait un appel à contribution auprès de personnes qui connaissent notre travail et qui y ont participé à divers niveaux. Nous avons mis à leur disposition les films, les master class, les rencontres avec le public (filmées) qui se trouvent dans notre chaîne Viméo, accompagnés de fichiers qui contiennent entre autres notre catalogue, des textes de réflexion que nous avons produit les années précédentes, etc. A partir de ce contenu chaque contributrice ou contributeur ayant accepté de participer devait dans un premier temps nous proposer un résumé de son intention et une biographie succincte. Chacun et chacune était libre de choisir la forme qui lui convenait pour partager sa vision de notre travail. Dès le départ, nous voulions en effet des profils différents, histoire du cinéma, anthropologie, science de l’éducation, études du genre, etc., mais aussi une analyse des films et des outils pédagogiques que nous produisons… Une fois le groupe constitué, nous avons organisé plusieurs réunions en ligne pour discuter, échanger et préciser certaines choses.
Selon vous, le cinéma algérien est-il porteur d’une mémoire collective des Algériens ?
C’est une question complexe à laquelle je ne pourrais répondre, je n’ai pas assez de compétences pour cela. Je dirais qu’à partir de mon expérience, le cinéma aide à construire une mémoire, dans son accumulation d’images et film après film. Il permet aussi de réfléchir aux images que nous construisons sur nous-mêmes et par cela nous permet de construire un esprit critique. Sur le plan collectif, aujourd’hui avec les réseaux sociaux, les images sont brouillées, il faut une vraie recherche pour déterminer s’il y a une mémoire collective des Algériens à partir des images. Avant, avec la télévision et les cinémas, on savait à peu près ce que les gens regardaient et donc on pouvait évaluer. Ce qui est sûr, c’est que les images aident à construire nos imaginaires…
Vous êtes réalisatrice et poète. La poésie a-t-elle le même impact mémoriel que le cinéma à vos yeux ?
Je ne sais pas si la poésie a un impact mémoriel. Je ne sais pas non plus si on fait les choses pour provoquer un impact ? Il me semble que c’est après coup qu’on peut réfléchir aux impacts (si on le souhaite), ce n’est pas une intention de départ. La poésie est partout, l’Algérie est un pays de poésie, par la langue et par les gestes… Tout dans le kabyle, le zénète, l’arabe daridja est métaphore. Cela m’inspire beaucoup dans ma poésie, même si pour le moment je n’écris qu’en français. En tout cas, nous sommes dans des sociétés oralisantes, il y a forcément quelque chose des mémoires qui passe par la poésie populaire.
Revenons au cinéma documentaire, vous êtes également formatrice et pédagogue depuis vingt ans. Quel est pour vous l’enjeu de la transmission ?
L’enjeu le plus important était de partager nos expériences professionnelles pour que d’autres générations après nous puissent réaliser des films. Pour que ce ne soit pas réservé aux personnes qui ont les moyens de partir à l’étranger se former ou bien aux personnes qui ont accès aux tournages qui se font, etc. Nous avons réfléchi à mettre en place un atelier de création de films documentaires, parce qu’il y avait une demande et un désir de création d’images. Cela correspondait en 2006 à un moment où nous-mêmes nous avions besoin d’interroger notre rapport à l’image et à sa fabrication, dans un contexte très difficile de fermeture de la majorité des salles de cinéma et aussi d’une production cinématographique qui était faible. Mais il y avait à ce moment une énergie qui provenait de plusieurs villes en Algérie et beaucoup souhaitaient renouer avec la projection des films et aussi les débats. Beaucoup de ces personnes qui avaient créé des lieux de diffusion sont devenus plus tard des réalisateurs et réalisatrices. Cette transmission nous sommes partis la chercher… et elle n’était pas évidente à trouver, puisque nous-mêmes avions encore besoin de continuer à nous former et c’est ce que nous avons fait.
D’autres numéros sont-ils prévus à l’avenir ? Si c’est le cas, avez-vous défini le thème du prochain ?
Nous souhaitons que cette revue dure le plus longtemps possible, nous avons opté pour un rythme annuel avec à chaque fois un numéro qui va explorer nos images marquantes. Réfléchir collectivement, trouver des lignes et des thématiques. Le comité de rédaction va se réunir en septembre, nous allons décider à ce moment-là des thématiques à explorer. Dans l’introduction du numéro 0, il y a déjà l’idée d’aller explorer les œuvres des cinéastes algérien(ne)s ancien(ne)s (Azzedine Meddour, Assia Djebar, Brahim Tsaki, Djamila Sahraoui et bien d’autres) pour questionner leur impact sur notre travail, mais aussi les remettre dans leur contexte de fabrication. On pourra, je pense, découvrir des choses étonnantes et des pistes de réflexion qui nous ouvriront des champs de recherche et de création.
Que pouvons-nous souhaiter à “Imagine – Carnets Cinéma Mémoire” ?
Une longue vie et un travail de qualité. Ajouté à cela un écho auprès des jeunes, c’est pour cela que la revue est en arabe et en français, on aimerait toucher les futures passionné(e)s du cinéma.
D.M.