L’enchevêtrement des maisons, le dédale infini des ruelles, l’organisation de la vie citoyenne font de la Casbah un patrimoine culturel et historique exceptionnel. Mais le temps et les hommes, plus consciemment, l’ont outragé violemment. Sa restauration entreprise depuis des décennies ne freine pas sa dégradation. Une question s’impose : la dégradation de la Casbah est-elle une fatalité ? Et si la vieille citadelle pouvait raconter une nouvelle histoire que celle d’un passé glorieux.
Comment ? Maintenir l’essence même du monument historique et le réinstaller dans la vie active. Restituer les commerces, réinstaller les ateliers des artisans, les mosquées, donner de l’importance aux musées dans le circuit touristique, des maisons d’hôtes. En somme insérer la Casbah dans un tissu urbain continu avec le reste de la ville moderne, estime Saïd Guellal, conseiller du wali d’Alger chargé de la Casbah.
« La Casbah vit avec ses citoyens et ses activités. On l’a toujours approché d’un point de vue patrimonial. Aujourd’hui on doit intégrer également l’aspect commercial et économique et touristique », note Guellal.
Rencontré à la citadelle d’Alger, Guellal vérifie les derniers points avant l’ouverture de la salle de prière de la mosquée El-Barani. La mosquée ElBarani est une des plus anciennes mosquées d’Alger construite en 1653. En 2016, le toit s’est effondré et une rénovation urgente a été engagée.
Notre interlocuteur travaille sur le dossier de la Casbah depuis 1998. Il rappelle que la Casbah est classée patrimoine national depuis 1991 et patrimoine universel depuis 1992. L’Algérie célèbre le 23 février de chaque année la journée nationale de la Casbah.
Guellal fait savoir que le secteur sauvegardé englobe la commune de la Casbah, et une partie de la commune d’Alger et Bab El-Oued sur une superficie de 105 ha. Celui-ci a fait ressortir 1816 bâtisses, dont 800 bâtisses présentant un risque d’effondrement.
« Le plan de sauvegarde de la Casbah a été approuvé en 2012 sur un territoire de 105 ha qui représente le secteur sauvegardé de la Casbah érigé en 2005. A cette époque, la Casbah comptait 52.000 habitants. Aujourd’hui, le nombre a fortement baissé grâce aux opérations de relogement », souligne Guellal.
Ces opérations de relogement permettent d’alléger le poids de la population et une meilleure intervention pour la sauvegarde de la casbah. Cependant, la problématique de la propriété reste persistante en l’absence d’un cadre juridique.
50% des propriétés non identifiés
Guellal informe que 85% des maisons de la Casbah sont des propriétés privées. Il rappelle que loi stipule clairement que l’Etat ne peut pas intervenir sur des propriétés privées. Le cadastre de la Casbah a été fait de 1999 à 2010. Pendant 11 ans, le bureau était ouvert pour que les personnes s’identifient. Guellal déplore que 50% des propriétés soient toujours non identifiés.
« Il y a un autre problème plus profond. Actuellement 10% des habitants sont des locataires, et parfois des héritiers qui ne se connaissent même pas. Et quand on réussit à trouver les propriétaires, ces derniers sont dans une ignorance administrative. Il faut donc les orienter pour faire l’acte de succession et toutes les autres démarches. »
Pour remédier, en partie, à cette situation, les services de la wilaya ont récemment enclenché une étude appelée « étude d’orientation d’aménagement et de programmation sur les espaces vides ».
Selon Guellal, cette étude a fait sortir 10 pôles d’espaces vides. « C’est une étude d’orientation générale et non pas d’exécution. Nous préparons un cahier des charges pour élaborer une étude d’exécution pour deux pôles sur la haute Casbah, à savoir El-Koudia et Sidi Ramdane », souligne-il.
Il ajoute que ce travail a été fait avec les services du cadastre, la mairie de la Casbah et la wilaya d’Alger, sous l’égide du wali délégué de Bab El-Oued.
« Nous avons pu identifier 81 parcelles. Sur les 81 parcelles, on a eu 50 parcelles dont les propriétaires sont identifiés. Les 31 parcelles restantes sont inconnues. Des 50, nous avons pu avoir les numéros de téléphone de 24 propriétaires. Seulement 10 sont venus. C’est dire à quel point l’intervention est complexe. »
Que disent les études sur les facteurs de dégradation
Le plan permanent de sauvegarde de la Casbah a été approuvé par un décret exécutif en 2012. En 2014, le ministère de la culture a fait le « plan d’attaque » qui est un premier plan d’intervention pour la mise en œuvre du plan permanent.
Le plan d’attaque donnait le feu vert pour des interventions au niveau de la Casbah. Cette opération a été donnée en exécution à la wilaya d’Alger en 2016. L’Etat a donné 24 milliards de dinars sur budget d’Etat et un peu plus de 25 milliards de dinars sur budget de wilaya.
« Nous sommes en train d’exécuter un plan d’action élaboré et approuvé par les autorités et un financement », précise Guellal.
Plusieurs monuments ont été réceptionnés dans le cadre de ce plan. Guellal cite entre autres la maison historique Dar Bouhired à proximité de Djamaa Lihoud. Deux bâtisses historiques et culturelles qu’on appelle l’îlot Bachtarzi à la basse Casbah. Ces deux bâtisses remontent à l’époque coloniale. Mahieddine Bachtarzi y habitait et organisait les premières répétitions des pièces théâtrales. Elles seront destinées à des activités artisanales.
Mais la restauration de la Casbah est un challenge à tous les niveaux. « Les études de restauration déterminent le degré d’intervention. Mais on n’est jamais au bout de nos surprises. Pendant la restauration, on découvre toujours de nouvelles choses qui donnent une autre orientation à l’intervention », précise-t-il.
Concernant la dégradation, Guellal précise que les études démontrent que l’introduction de l’eau à la Casbah a fortement impacté la cité. Avant, les gens de la casbah utilisaient l’eau des puits, l’eau écumée durant l’hiver, et l’eau des fontaines. L’utilisation de l’eau est devenue abondante, ce qui l’a fragilisée.
L’introduction de commodités nouvelles par les habitants a contribué au vieillissement de la bâtisse. « C’est du bâti traditionnel. Le ciment ou la peinture nuisent au mur et l’empêchent de respirer, donc il se fissure. A la Casbah, on ne fait que le chaulage », renseigne-t-il.
Rareté des matériaux nobles
Guellal évoque la problématique de la rareté des matériaux de construction anciens. Il donne l’exemple des encorbellements situés au-dessous des balcons. Ces pans de bois sont faits à base de thuya, qui est un arbre protégé. Pour s’en procurer il faut une autorisation des services des forêts. « La commande peut prendre plusieurs mois.
Aussi, on ne peut pas avoir de grandes quantités, et avant de l’utiliser il faut le traiter selon d’anciennes techniques », détaillet-il.
Il faut également utiliser la brique pleine et la céramique traditionnelle, et il y a seulement quelques fabricants en Algérie qui le font. Malgré les contraintes, la restauration des édifices de la casbah se poursuit.
A propos des projets en cours, Guellal a informé que des opérations sont en cours à la basse Casbah, notamment Dar El-Hamra construite par le Dey Hussein en 1818.
Des études ont été menées sur quatre palais Khedaoudj El-Amia, actuel musée des arts et traditions populaires. Dar Es Souf, Dar Ahmed Pacha et Dar Essadaka. Les cahiers des charges viennent d’être approuvés par la commission des marchés de la wilaya, et l’avis d’appel d’offres va bientôt sortir pour désigner l’entreprise de restauration, ajoute Guellal.
La Casbah est un bijou qu’El-Bahdja porte fièrement à son front. Malgré la complexité de ce site et les défis qu’il présente, la vie s’organise et s’épanouit. Véritable microcosme social, la communauté, elle aussi, participe à préserver l’esprit de la médina.