La bataille du lait est engagée

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La bataille du lait est engagée

Par Brahim Aziez

Une certaine effervescence caractérise la filière du lait en Algérie ces derniers jours, tant ce créneau continue de créer les tensions et d’éprouver les réserves de change du pays.

De nombreuses décisions ont été prises depuis quelques mois pour réguler cette filière stratégique, et la cadence semble s’accélérer ces derniers temps.

Mais parmi les points notables qui peuvent être cités, il y a les déclarations du président de la République lors de sa halte au stand de la laiterie Soummam lors de l’inauguration du salon de la production nationale, et les mesures prises la semaine dernière à l’occasion de la réunion tenue par le ministre de l’Agriculture avec 22 importateurs de génisses pleines.

Il est utile de rappeler que les besoins de l’Algérie sont estimés à 4,5 milliards de litres de lait par an, alors que la production locale peine à dépasser 2,5 milliards litres/an, dont 814 millions de litres sont destinés à l’industrie des produits laitiers et plus de 750 millions de litres aux ménages.

Le reste est, pour sa part, dirigé vers la transformation domestique ou vers de petites activités non autorisées, car toute la production n’est pas livrée aux laiteries.

Du coup, l’Algérie importe annuellement des quantités drastiques de poudre de lait, jusqu’à 1,5 milliard de dollars, ce qui en fait le 3e ou 4e importateur mondial de poudre de lait (selon les années).

A titre illustratif, notre pays a importé pour plus de 1,24 milliard de dollars de poudre de lait en 2020, une facture revue à la baisse en 2021 (600 millions de dollars pour 200.000 t importées) après le gel des importations de cette matière, et qui a été levé en décembre de la même année.

Une situation qui avait créé des tensions sur ce produit, que ce soit chez les consommateurs qui peinaient à en trouver sur le marché, ou pour les laiteries qui ont commencé à manquer de matière première pour produire les dérivés du lait ou produits laitiers, au point de menacer de fermer leurs unités.

Un soutien croissant de l’Etat

La politique du ministère de l’Agriculture et du Développement rural reste axée sur la promotion de la production locale et la réduction, voire la suppression des importations de la poudre de lait.

A ce titre, l’État apporte un soutien annuel à la production locale de lait frais de plus de 18 milliards de DA. Ce montant de subvention comprend principalement les subventions destinées aux éleveurs de vaches laitières (12 DA par litre), les collecteurs de lait (5 DA par litre) et les laiteries (4 DA par litre). Dernièrement, l’ONIL avait annoncé l’ouverture, à l’horizon 2024, de onze groupes d’appui à la filière lait pour assurer son développement. Dans cette optique, l’importation de génisses pleines vise un double objectif : l’augmentation de la production laitière et la garantie de la disponibilité de la viande rouge à des prix raisonnables.

Mais il est clair que la filière a besoin d’une réorganisation, mais aussi de plus de moyens.

En mars dernier, le chef du conseil national interprofessionnel de la filière laitière, Azzedine Tamni, déclarait que l’Algérie a besoin de deux millions de vaches laitières pour couvrir ses besoins en lait et cesser d’importer de la poudre de lait.

La laiterie Soummam en «locomotive»

Lors de sa visite, la semaine dernière, au salon de la production nationale, le président avait effectué une halte au niveau du stand de la laiterie Soummam où il avait déclaré aux responsables «vous êtes une locomotive, il faut le rester», assurant à cette entreprise le soutien de l’État, mais suggérant toutefois moins de recours à la poudre de lait, une matière subventionnée par l’Etat pour les besoins de la consommation nationale de lait. D’ailleurs, le président de la République sera clair à propos de la poudre de lait : «Nous devons la laisser pour la consommation du citoyen sous forme de lait», rappelant que les prix des produits laitiers sont libres.

Et d’ajouter que «le consommateur algérien a le droit au fromage, au camembert, au yaourt. Mais la poudre de lait, on l’utilise pour les produits à prix subventionnés, donc faites attention, essayez de diminuer un peu», avait insisté Abdelmadjid Tebboune.

La stratégie initiale de la laiterie Soummam, cette entreprise familiale basée à Akbou (Béjaïa) consistait à transformer le lait en produits dérivés.

Mais face au manque de lait frais, l’objectif actuel est également d’accorder une aide aux éleveurs, sachant que 16 000 vaches laitières produisent du lait pour la laiterie Soummam, lui permettant d’atteindre 25% de taux d’intégration de lait frais, selon un responsable de l’entreprise.

Pour ce faire, la laiterie Soummam a investi dans 7 fermes en Algérie. «Ce sont nos fermes, des fermes modèles avec une technologie moderne.

Et nous offrons tous les moyens pour que les agriculteurs de ces régions produisent de la même façon», avait révélé ce même responsable au chef de l’Etat.

Développer des fermes de 10.000 à 12.000 vaches

Toujours lors de l’inauguration du salon de la production nationale et sur le stand de la laiterie Soummam, le chef de l’Etat a annoncé que le ministère de l’Agriculture était en «discussion avec des investisseurs du Proche-Orient pour développer des fermes de 10.000 à 12.000 vaches» en Algérie.

Le président Tebboune a aussi indiqué que pour chaque vache laitière, les investisseurs au Sud doivent compter sur un hectare de surface de terre. À cela, il faut ajouter l’eau d’irrigation nécessaire à la production du fourrage.

Avec la crise sanitaire qui a été suivie par une période de sécheresse, les soucis des éleveurs se sont accentués au point où, n’arrivant plus à subvenir aux besoins de leurs fermes tant les prix des fourrages avaient explosé, rendant leurs élevages non rentables, ils ont dû sacrifier une bonne partie de leurs élevages dans les abattoirs.

De plus, de nombreux élevages ne possèdent pas l’assiette foncière suffisante à la production de fourrages.

Tizi Ouzou reste un important bassin laitier en Algérie. En 2018, la seule commune d’Imaloucène, au nord-est de Tizi Ouzou, produisait plus de 4,5 millions de litres de lait par an.

Les éleveurs de ce village, rendu célèbre pour sa fête du lait, approvisionnent les laiteries Soummam et Danone Algérie.

Mais une étude réalisée en 2009 sur l’autonomie alimentaire des exploitations laitières dans la région de Tizi Ouzou, l’universitaire Si Ammar Kadi (co-auteur) alertait sur la situation de dépendance des exploitations de l’importation des aliments de bétail.

Depuis quelques années, une véritable révolution fourragère se développe au sud du pays : des investisseurs produisent aujourd’hui, sous irrigation continue, du maïs fourrager conservé par enrubannage.

Modernisation des élevages et plus de moyens

Le président de la chambre nationale d’agriculture, Mohamed Yazid Hambli, avait récemment estimé que le développement de la filière passe impérativement par l’intensification des investissements dans des exploitations et la modernisation des élevages.

Toutefois, il a affirmé que le plus grand problème retardant le développement de la filière est l’accès aux crédits bancaires.

«On ne peut pas construire une agriculture moderne, durable et compétitive sans les crédits bancaires. Les agriculteurs manquent de ressources financières. L’Etat accorde des subventions pour accompagner et aider les éleveurs, mais l’acquisition des grands équipements pour moderniser l’élevage nécessite de grands moyens», a-t-il souligné.

Pour sa part, le secrétaire national de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA), Slimane Dreibine, a mis l’accent sur la nécessité de moderniser l’élevage, la formation des éleveurs sur les principaux systèmes d’alimentation et les stratégies de production pour mieux maîtriser le volet alimentation.

Selon lui, il faudrait penser à créer des pépinières de la génisse pleine.

Le responsable a indiqué que la production par vache et par jour en Algérie oscille entre 15 et 20 l, alors qu’en Europe les vaches laitières à fort rendement peuvent produire jusqu’à 50 l par jour, voire 80 l.

De son côté, l’expert agricole Laâla Boukhalfa a estimé que l’importation de vaches laitières est une bonne chose pour peu qu’il y ait une alimentation de base requise pour la production de lait, à savoir le vert.

Selon lui, le développement de la filière lait repose sur trois axes majeurs : choix de la vache qui s’adapte au climat du pays, la préparation de l’aliment de base qui est le vert en pensant à réserver des périmètres irrigués pour la production du vert et, enfin, le suivi permanent de l’hygiène et la santé de l’animal.

B.A