Par Latifa Abada
La Cinémathèque d’Alger vient de publier le nouveau numéro de sa revue éponyme. Au sommaire de cette édition : des contributions inédites sur le cinéma documentaire, un éclairage sur le cinéma palestinien, un hommage à Mohammed Lakhdar-Hamina, ainsi que d’autres articles à découvrir. L’ensemble des textes est désormais accessible dans la version électronique de la revue.
Ce numéro s’ouvre sur une tribune signée par le ministre de la Culture, qui revient avec émotion et fierté sur le triomphe historique de Mohammed Lakhdar-Hamina à Cannes en 1975, lorsque Chronique des années de braise décrochait la Palme d’or, un moment fondateur pour le cinéma algérien.
« La Palme d’or, décernée à ce réalisateur pour son film inoubliable Chronique des années de braise, n’était pas une simple distinction honorifique passagère, mais un hommage profond et pleinement mérité, rendu dans un contexte historique et politique particulier que traversait alors le pays. À travers cette œuvre, il a brillamment su transmettre les récits, les douleurs et les espoirs du peuple, consacrant ainsi l’image de l’Algérie comme une nation pionnière, capable de relever les défis et de façonner l’avenir à travers l’art » souligne Zouhir Ballalou.
Ce numéro consacre un long chapitre à Lakhdar Hamina décédé le 23 mai dernier. Son parcours est évoqué par le biais de ses films et son « génie du cadrage », comme le décrit le critique de cinéma Ahmed Bedjaoui : « il ne vient pas tant de ses moyens techniques que de sa sensibilité aiguë à rechercher une image qu’il porte déjà en lui, dans sa mémoire. Dès qu’il la retrouve, il la saisit et s’y attarde ».
Le cinéma du réel par Bedjaoui
Un dossier sur le cinéma documentaire aborde plusieurs thématiques notamment son passage d’un discours politique à un discours social, le cinéma documentaire au service des peuple oublié ou encore la contribution de Ahmed Bedjaoui qui est une comparaison entre le film documentaire et le film de fiction.
Ahmed Bedjaoui nous informe qu’à l’instar du réalisateur de films de fiction, le réalisateur de films documentaires exerce ses choix à chaque instant, en éliminant et en écartant une part de la vie éphémère. La durée du film, forcément limitée, ainsi que les contraintes et pressions imposées par les distributeurs réduisent sa liberté de choix. Il peut donc, par le biais du montage et à travers un traitement personnel de la relation entre le temps et l’espace, organiser sa vision du monde et la proposer à son public.
« Même les cinéastes partisans du cinéma-vérité, comme Jean Rouch, savent pertinemment que toute prise de vue est une forme de trahison, et que le but du cinéma est d’atteindre une trahison du réel qui soit aussi proche que possible de la vérité. Nous connaissons tous la célèbre formule de Jean Rouch inventeur du terme cinéma-vérité lorsqu’il affirme : l’imaginaire naît dans l’acte de filmer, ou autrement dit, tout n’est que fiction, à condition d’assumer notre désir de révéler notre vérité, sa vérité » se souvient Bedjaoui.
Selon Bedjaoui il existe plusieurs types de films documentaires, tout comme il en existe dans le cinéma de fiction. Dans ce dernier, le réalisateur travaille principalement à travers un médium, un intermédiaire entre lui et le public, qui est l’acteur.
« Cependant, nous savons qu’il existe de nombreux films documentaires-fictionnels qui ont de plus en plus recours à la reconstitution, à la mise en scène avec des acteurs et des costumes. Cela s’applique particulièrement aux formes qui cherchent à séduire le grand public. Aujourd’hui, la narration historique est devenue moins coûteuse… » souligne-il
Focus sur Leïla et les Autres
Amar Bourouis, journaliste et critique de cinéma revient sur une rencontre avec le défunt réalisateur Sid Ali Mazif. Il évoque le parcours de ce réalisateur a succès qui a mis son talent au service de la cause des femmes algérienne. Mazif a consacré au moins quatre de ses films de fiction à la question de la condition féminine dans la société. Quant à ses autres œuvres, elles comportent des références brèves mais incisives à des problématiques sociales liées aux femmes.
Son premier film de fiction, sorti en 1978 sous le titre Leila et les autres, traite de la lutte des femmes contre l’oppression masculine dans une société patriarcale, ainsi que de la domination des traditions sociales dépassées et des mentalités méprisantes à l’égard des femmes.
Le film a connu une large diffusion et a suscité l’enthousiasme des spectateurs dans les salles de cinéma. Lorsqu’il a été diffusé à la télévision, le public a découvert une œuvre cinématographique d’une grande qualité.
« Lorsque j’ai demandé au défunt cinéaste Sid Ali Mazif, il y a vingt ans, s’il acceptait volontiers l’étiquette de défenseur des droits des femmes, il m’a répondu en souriant qu’il n’aimait pas ce genre de qualificatifs. Il ajoutait qu’au cours de toute sa carrière cinématographique, qui s’étendait sur un demi-siècle, il avait simplement été un réalisateur ancré dans la réalité et les préoccupations de la société, rien de plus ».
La nostalgie de Tahya Ya Didou
Dans le cadre du chapitre Nostalgie, la revue rend hommage à Tahya Ya Didou, œuvre culte de Mohamed Zinet, véritable trésor du cinéma algérien.
À travers une plongée sensible et critique dans ce film unique en son genre, le contributeur, Ilyes Boukhamoucha, revisitent l’Alger d’après-indépendance, telle que Zinet l’a filmée : chaotique, drôle, désabusée, mais profondément humaine.
L’auteur explique que le langage cinématographique utilisé par Zinet dans cette œuvre est austère mais profond, en harmonie avec l’âme des personnages et l’univers qu’il dépeint. Les couleurs sombres, les mouvements de caméra lents et les plans longs, qui montrent les personnages comme de petits points au milieu du chaos, donnent au film des allures d’élégie.
« Il y a une scène inoubliable : Dido regarde la rue à travers une fenêtre, avec une certaine nostalgie un moment silencieux, chargé de détails. À cet instant, la caméra dit tout ce que Dido ne peut exprimer. Il n’est ni complètement en colère, ni totalement abattu ; il semble plutôt accepter l’absurdité de sa réalité, en se demandant, toujours : le lendemain sera-t-il meilleur ? Cette question demeure en suspens tout au long du film, sans jamais trouver de réponse claire », décrit Ilyes Boukhamoucha.
Des hommages vibrants à Lakhdar-Hamina, Sid Ali Mazif ou Mohamed Zinet, les analyses approfondies sur le cinéma documentaire et palestinien, en passant par les récits empreints de nostalgie, chaque chapitre témoigne d’un engagement à penser le cinéma comme témoignage.