Par M. Mansour
Parmi les voix qui s’élèvent en cette période de tension entre Paris et Alger, celle du recteur de la Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, mérite une attention particulière. Dans un billet publié dans le magazine «Iqra», intitulé «Accuser… l’oubli et l’ingratitude», il s’insurge contre la stigmatisation croissante des immigrés algériens et des binationaux en France, dénonçant un climat de haine attisé par certains responsables politiques et relais médiatiques.
Un retour aux vieilles ficelles de la peur
Le texte publié mardi s’ouvre sur un constat amer : l’immigration algérienne est une fois de plus désignée comme une menace pour la société française. «Encore une fois, l’ignoble triptyque – précarité, regroupement familial, délinquance – est brandi comme une évidence, comme une fatalité inscrite dans le sang et la terre», écrit Chems-Eddine Hafiz, soulignant ainsi l’instrumentalisation de la peur et la stigmatisation systématique de la communauté algérienne en France.
Il rappelle pourtant que cette communauté a contribué et contribue encore au développement de son pays d’adoption. «Hier, ils bâtissaient la France sous le soleil de plomb des chantiers, dans les profondeurs des mines, dans l’anonymat des usines. Aujourd’hui, leurs enfants construisent l’avenir, mais on ne veut pas les voir», souligne-t-il avec amertume, mettant en lumière l’ingratitude d’un pays qui oublie volontiers les sacrifices de ces travailleurs.
Depuis plusieurs semaines, dit-il, il observe cette vague de dénigrement se renforcer, alimentée par des discours politiques opportunistes et des reportages à charge. «Cela fait des semaines que je constate l’extension du soupçon : de l’immigration algérienne, nous sommes passés à l’examen des binationaux, traquant chez eux un malaise, une faute, un crime de double appartenance», s’indigne-t-il, dénonçant une suspicion permanente pesant sur ceux qui ont une double culture.
Un soulagement fugace
- Hafiz admet avoir cru, un court instant, que la raison finirait par l’emporter. Il évoque les propos d’Emmanuel Macron au Portugal vendredi, où le président français a tenté de dissiper les tensions : «Non, les binationaux ne doivent pas souffrir des tensions entre Paris et Alger ; non, ils ne sont pas coupables du mal-être de la France», rapporte-t-il, y voyant une reconnaissance tardive mais nécessaire du fait que les binationaux ne doivent pas être pris en otage par la politique.
Mais cet espoir est de courte durée, comme il le déplore avec force : «A peine cette lueur entrevue qu’elle fut étouffée sous un nouvel amas de calomnies. Encore et toujours, l’immigration algérienne est l’objet des pires fantasmes, des pires accusations, des plus lâches manipulations politiques», écrit-il, dénonçant une mécanique bien rodée de stigmatisation récurrente.
Un récit tronqué : où sont les réussites ?
L’un des points les plus percutants du billet est la mise en lumière d’un oubli volontaire des réussites issues de l’immigration algérienne. «Où sont-ils, ces éclaireurs de la vérité, lorsque l’on parle de Yasmine Belkaïd, Directrice de l’Institut Pasteur, qui façonne l’avenir de la recherche médicale en France ? Où sont-ils quand Faïrouz Malek, physicienne de génie, explore les confins de la matière et du cosmos ?», interroge le recteur, fustigeant une couverture médiatique qui ne met en avant que les aspects négatifs.
Il souligne avec amertume l’injustice d’un regard biaisé qui ne s’attarde que sur la délinquance et la précarité, laissant dans l’ombre des milliers d’histoires de réussite : «Pourquoi, quand il s’agit d’immigration algérienne, la loupe ne zoome-t-elle que sur l’ombre ?», s’indigne-t-il, appelant à rétablir une vision plus juste et équilibrée.
La construction du bouc émissaire et l’amnésie collective
Chems-Eddine Hafiz s’insurge également contre la manipulation des chiffres et l’amplification artificielle d’un discours alarmiste. «Cette obsession de la délinquance, martelée à coups de statistiques tronquées, n’est que la vieille recette de ceux qui ont besoin d’un ennemi intérieur pour masquer leur propre faillite», écrit-il, dénonçant la volonté délibérée de certains de faire porter à l’immigration la responsabilité des maux de la société.
Il rappelle que la contribution des immigrés algériens à la France est immense, bien au-delà des clichés véhiculés. «Que sait-on de la contribution de ces hommes et femmes à la France, sinon ce que l’on veut bien en dire ? Qui se souvient que sans eux, les rues de nos villes auraient été silencieuses faute de chauffeurs de bus ? Que les hôpitaux se videraient de leurs soignants, que les universités perdraient des chercheurs brillants, que le monde de la finance se priverait d’innovateurs audacieux ?» interroge-t-il encore une fois, appelant à une reconnaissance historique et sociale.
Briser le silence et refuser l’injustice
En conclusion, M. Hafiz exhorte à un sursaut collectif face à cette stigmatisation et à cette mise en accusation systématique. «Combien de voix doivent encore s’élever pour que cesse cette infamie ? Combien de noms doivent être cités avant que l’on reconnaisse que l’immigration algérienne est aussi un creuset de réussite, de savoir et d’excellence ?», questionne-t-il, insistant sur l’urgence de changer le récit dominant.
Son message est sans appel : «Aujourd’hui, je refuse ces mensonges sur les immigrés algériens ou les binationaux. Aujourd’hui, j’écris pour que l’on se souvienne que la France se construit avec eux, malgré eux parfois, contre eux trop souvent, mais qu’elle se construit, et qu’ils en sont la preuve éclatante.»