Par M. Mansour
Dans un arrêt sans appel rendu hier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tranché en faveur du Front Polisario, annulant les accords commerciaux concernant la pêche et les produits agricoles, conclus entre le Maroc et l’Union européenne (UE) et qui s’étendaient au Sahara occidental. Cette décision vient rappeler avec force que le droit international et le respect de l’autodétermination des peuples ne doivent pas être piétinés sur l’autel des intérêts économiques.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu son verdict dans la procédure d’appel initiée par le Conseil et la Commission de l’Union européenne. Ce jugement, en faveur du Front Polisario, affirme que «les accords commerciaux UE-Maroc de 2019 relatifs à la pêche et aux produits agricoles, conclus sans le consentement du peuple du Sahara occidental, enfreignent les principes de l’autodétermination et de l’effet relatif des traités».
Cette décision de justice est une victoire significative pour le Polisario, reconnu comme le représentant légitime du peuple sahraoui, qui lutte depuis un demi-siècle contre l’occupation marocaine. Cette dernière exploite les ressources de son territoire avec le soutien tacite de certains pays européens qui en tirent profit.
Des accords tissés dans l’ombre
Pour saisir les enjeux, il est essentiel de se pencher sur l’historique de ces accords de pêche, qui ont débuté en 1988. Cette coopération entre le Maroc et ses partenaires européens a perduré jusqu’en 1999, avant d’être suspendue puis reprise en 2006. Douze ans plus tard, en 2018, la CJUE a finalement statué que les accords précédents n’étaient pas applicables aux eaux sahraouies. Cette décision a conduit la Commission européenne à proposer un nouvel accord, présenté au public comme conforme à l’arrêt de la Cour. Cependant, celui-ci a rapidement été contesté par le Polisario, qui n’avait pas été consulté. Le protocole controversé prévoyait d’autoriser 128 navires européens à pêcher dans les eaux sahraouies, moyennant une contribution annuelle de 40,15 millions d’euros.
Cependant, il faut noter que cette situation n’est qu’un aspect de la problématique plus large de la prédation et de l’accaparement des ressources du Sahara occidental, qui ne se limitent pas à la pêche, mais s’étendent également à d’autres secteurs comme l’agriculture. Dans ce contexte, la CJUE a également souligné l’importance d’un étiquetage rigoureux des produits agricoles issus du Sahara occidental, tels que les melons et les tomates. Ces produits doivent être clairement identifiés comme provenant du Sahara occidental, et non du Maroc, afin de respecter le droit international et d’éviter de tromper les consommateurs. Cette décision fait suite à une requête de la Confédération paysanne française, qui a dénoncé «des pratiques d’étiquetage erronées inacceptables».
Une victoire contre le pillage
Cette nouvelle décision de la CJUE peut donc être considérée comme une grande victoire pour le Front Polisario. En annulant ces accords, la CJUE renvoie une clarté bienvenue sur la légitimité de la lutte du peuple sahraoui contre le pillage de ses ressources. Le verdict indique clairement que «le consentement du peuple du Sahara occidental à la mise en œuvre des accords commerciaux UE-Maroc de 2019 en matière de pêche et de produits agricoles sur ce territoire non autonome est une condition de validité des décisions par lesquelles le Conseil les a approuvés au nom de l’Union».
Cette décision fait écho à des arrêts précédents, notamment celui du Tribunal de l’Union européenne de septembre 2021, qui avait déjà annulé des accords similaires, soulignant qu’ils avaient été conclus en violation du droit international et sans le consentement des Sahraouis.
Bien que la récente décision de la CJUE constitue une avancée légale importante, elle ne saurait occulter les relations troubles que certains Etats membres de l’UE entretiennent avec le Maroc. Les liens étroits entre des politiciens de haut rang, notamment en Espagne et en France, et des figures influentes du pouvoir marocain soulèvent de sérieuses questions éthiques. Cette situation est d’autant plus préoccupante à la lumière des récents scandales de corruption ayant secoué le Parlement européen, où des preuves d’influence du Maroc sur des élus européens ont été mises en lumière.
Collusion des intérêts
Cela nous amène ainsi à constater le contraste frappant entre la position favorable de certains Etats européens à l’égard du Maroc et son plan d’autonomie, d’une part, et les décisions impartiales de la CJUE, d’autre part. Cette dichotomie met en lumière un fossé croissant entre les intérêts géopolitiques, et parfois personnels, de certaines figures politiques en Europe et les principes juridiques universels défendus par la justice européenne. Cet état de fait soulève à nouveau la question du contexte dans lequel la décision de la CJUE intervient, alors que le Maroc continue d’exploiter illégalement les ressources du Sahara occidental, notamment dans plusieurs autres régions de ce territoire, telles qu’à Boukraa, où le gisement de phosphate est intensément exploité pour gonfler les exportations du royaume.
En 2023, le pays a engrangé un bénéfice net de 1,4 milliard de dollars en exportant le phosphate extrait illégalement des territoires occupés. Cette exploitation minière ne se limite pas aux phosphates, puisque le Sahara occidental regorge également de ressources en fer et en cuivre, et des projets d’exploration sont régulièrement annoncés, ignorant la légitimité des revendications sahraouies.
Dans le domaine des ressources pétrolières et gazières, le Maroc a également mené des explorations offshore, suscitant des protestations des Sahraouis et des appels au respect du droit international. Le royaume chérifien a même entrepris des projets d’énergie renouvelable, comme le parc éolien de Tarfaya, tout en négligeant encore une fois les droits des communautés locales. Ce faisant, le Maroc ne se contente pas d’exploiter les ressources, il cherche également à s’approprier les richesses de ce territoire sans tenir compte des populations qui l’habitent.