Le rôle insoupçonné de l’aspirine contre les métastases : quand les plaquettes freinent l’immunité

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Par le Docteur Tarik Sebbah

Et si un médicament aussi courant que l’aspirine pouvait aider à prévenir la dissémination du cancer ? C’est précisément ce que démontre une étude marquante publiée en 2025 dans la prestigieuse revue «Nature». Dirigée par une équipe de l’Université de Cambridge, cette recherche a mobilisé plusieurs laboratoires internationaux de pointe, notamment ceux de Département de Pathologie & Centre de recherche biomédicale de Cambridge, Facultés de médecine innovante, neurosciences et pharmacologie translationnelle – Université «G. d’Annunzio» de Chieti-Pescara (Italie), ainsi que Université de Lille – Inserm (France) experte en immunologie des cancers et le département de biotechnologie médicale Université nationale de Taïwan (NTU).

Ces chercheurs ont mis en lumière un mécanisme immunitaire insoupçonné : l’aspirine, bien connue pour ses effets anti-inflammatoires, pourrait jouer un rôle-clé dans la prévention des métastases en désactivant un signal moléculaire qui affaiblit les cellules immunitaires. En bloquant la production d’une molécule appelée TXA2, produite par les plaquettes sanguines, l’aspirine restaure la capacité des cellules T à cibler les cellules tumorales disséminées.

 

Le système immunitaire face à la métastase

Les métastases sont responsables de près de 90% des décès par cancer. Or, contrairement aux tumeurs primaires, ces cellules cancéreuses disséminées sont plus vulnérables car elles n’ont pas encore établi leur microenvironnement immunosuppresseur. Une aubaine pour le système immunitaire, qui pourrait, dans certains cas, les éliminer. Mais ce n’est pas toujours ce qu’il se passe.

 

Le coupable : le TXA2 des plaquettes

Les chercheurs ont découvert que les plaquettes sanguines jouent un rôle clé dans cette immunosuppression. Elles produisent une molécule appelée thromboxane A2 (TXA2), qui agit comme un frein sur les cellules T, les soldats du système immunitaire capables d’éliminer les cellules cancéreuses.

Ce TXA2 active un signal intracellulaire via une protéine appelée ARHGEF1. Résultat : les cellules T deviennent moins actives, moins capables de proliférer et de produire les cytokines nécessaires à une réponse immunitaire efficace.

 

L’aspirine à la rescousse

C’est ici que l’aspirine entre en jeu. Bien connue pour son effet anti-inflammatoire, elle bloque une enzyme des plaquettes, la COX-1, indispensable à la production de TXA2. Ainsi, en réduisant le TXA2, l’aspirine libère les cellules T de cette inhibition, leur permettant de s’attaquer plus efficacement aux cellules métastatiques.

Les expériences chez la souris ont montré que ce mécanisme réduit significativement le nombre de métastases pulmonaires et hépatiques. Et lorsque le gène ARHGEF1 est supprimé chez la souris, les cellules T deviennent insensibles à l’effet immunosuppresseur du TXA2, renforçant encore leur activité antitumorale.

 

Vers de nouvelles stratégies thérapeutiques

Cette découverte offre une explication moléculaire claire au rôle préventif de l’aspirine dans certains cancers, observé depuis plusieurs années dans des études cliniques. Mais elle va plus loin : elle suggère que des médicaments ciblant spécifiquement le couple TXA2–ARHGEF1 pourraient être développés pour renforcer l’immunité antitumorale sans les effets secondaires de l’aspirine, comme les saignements gastriques. Ce mécanisme ouvre la voie à de nouveaux traitements adjuvants pour prévenir les récidives métastatiques après un traitement anticancéreux.

Un simple comprimé, un grand pouvoir : cette étude remet en lumière le potentiel méconnu de l’aspirine en cancérologie, non plus comme anti-inflammatoire, mais comme allié du système immunitaire contre les métastases.

T.S. Spécialisé en nutrition et pathologie