Le sommet arabe d’Alger à l’ère de la reconfiguration des alliances (Contribution)

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Les drapeaux alignés pour le sommet arabe d'Alger
Crédit photo Louisa A.

Par Dr Arslan Chikhaoui*

Le Sommet arabe se tient à Alger les 1er et 2 novembre 2022 à une date hautement symbolique. En effet, elle est en lien avec les principes fondamentaux immuables de l’Algérie concernant l’aspiration des peuples à leur indépendance. Le mois de novembre coïncide avec le 68e anniversaire du déclenchement de la révolution contre la colonisation française et, également, avec le 44e anniversaire de la déclaration d’Alger qui consacre l’indépendance de l’Etat de Palestine.

Ce sommet est un sommet charnière entre deux époques et deux contextes géopolitiques différents. Il marquera certainement une étape nouvelle dans la concorde arabe pour permettre aux relations intra-arabes d’évoluer dans la stabilité et la sérénité. La récente réconciliation inclusive inter-palestinienne d’Alger en est le prélude. Les sujets des conflits de faible et de moyenne intensité dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et par ricochet dans la zone sahélosaharienne sont autant de sujets essentiels.

Mais au-delà de cela, la réforme structurelle de la Ligue des Etats arabes pour son adaptation au contexte nouveau de multipolarité qui se dessine de plus en plus est l’une des questions primordiales qui est considérée.

Le passage vers la nouvelle ère de reconfiguration géopolitique

De mon point de vue, le 31e Sommet de la Ligue arabe d’Alger qui s’inscrit dans le prolongement de la réconciliation inter palestinienne est le sommet de l’unification et de la concorde arabe. Il marque le passage vers la nouvelle ère de reconfiguration géopolitique.

L’Algérie a souhaité, à travers le dialogue inter-palestinien global et inclusif regroupant les 14 factions, arriver à mettre un terme définitif à la division endémique qui mine le développement futur de l’Etat palestinien issu de la déclaration d’Alger du 15 novembre 1988 et surtout assurer le suivi et la mise en œuvre de la feuille de route adoptée à Alger le 13 octobre 2022.

Le rôle et l’expertise de l’Algérie en tant que facilitateur de ce dialogue inclusif a été extrêmement apprécié surtout qu’elle a maintenu sa posture de ne pas s’immiscer dans les discussions.

Il est clair qu’au regard de la nouvelle dynamique géopolitique, l’Accord de réconciliation inter-palestinienne qui est le moteur de la concorde arabe s’érigera incontestablement en contrepoids à l’accord d’Abraham de 2020.

La concorde arabe est la condition sine qua non pour pouvoir évoluer dans un contexte de sérénité et permettre au monde arabe d’affronter les défis du nouvel ordre mondial qui s’achemine vers une multipolarité et une redéfinition des alliances, ainsi que des rôles de chaque pays dans son espace immédiat. Le traitement de la politique sécuritaire commune est à même de conduire vers une stabilité qui pourra permettre aux pays arabes d’avancer.

Il est, néanmoins, trop tôt de parler de politique de défense commune compte tenu de la situation actuelle du monde arabe qui a besoin d’abord de se retrouver dans un climat de fraternité et de procéder à une révision structurelle de la Ligue arabe pour adapter, notamment, le mode de gouvernance, de représentativité et de votation. Il y a des défis majeurs à affronter en perspective à court et à très court terme, liés à la redéfinition du contexte géopolitique mondial. C’est pourquoi les dirigeants arabes n’ont plus, aujourd’hui, le choix que de s’aligner sur une seule position.

Parmi ces défis, je cite : le bornage définitif de certaines frontières géographiques du Etats arabes qui demeurent en suspens et qui sont sujet à tensions, la démilitarisation de certaines zones de conflit dans le monde arabe, la prise de mesures concrètes pour la non-prolifération de tout type d’armes de destruction massive qu’elles soient nucléaire, biologique, chimique ou radiologique.

Sur le plan économique, il est également trop tôt pour parler d’un bloc économique arabe pour une multitude de raisons. Avec plus de 450 millions d’habitants, il existe non seulement une disparité entre les pays en termes de revenus et de croissance de cette grande zone de libre-échange arabe mais aussi une absence de libre circulation des personnes.

L’intégration économique freinée par le syndrome hollandais

Les pays arabes sont également frappés de ce qu’on appelle le syndrome hollandais qui touche tous les pays pétroliers. Il est donc prématuré de présager dans l’immédiat une union économique.

Sur le plan énergétique et selon des experts en la matière, le monde est en mutation vers de nouveaux processus d’échanges et de consommation énergétique. Les statistiques disponibles montrent que le monde arabe renferme 43% des réserves pétrolières mondiales dont il produit 31% de la production mondiale, et 27% des réserves gazières mondiales dont il produit 16% de la production mondiale.

La consommation en énergie primaire du monde arabe a atteint en 2020 seulement 6% de la consommation mondiale.

La consommation énergétique mondiale est actuellement à 31% en pétrole, 27% en charbon, 25% en gaz naturel, 7% en hydroélectricité, 6% en renouvelables, et 4% en nucléaire. Le mix énergétique est par voie de conséquence constitué à 56% d’hydrocarbures, qui, selon la plupart des analyses, vont se réduire durant les trois prochaines décennies, mais demeureront à hauteur de 35% à l’horizon 2050. Par ailleurs, nombre d’experts mettent en exergue que 80% des émissions responsables du réchauffement climatique proviennent des pays du G20.

En 2021, les pays arabes ont émis environ 5,2% de CO2 par rapport à ce qui est émis dans le monde, à savoir Chine (31%), USA (13,9%), UE (8,1%), Inde (7,5%), Russie (4,7%).

Dans le cadre de sa diplomatie de proximité, l’Algérie, tout en préservant son principe de non-alignement, s’engage dans des actions multilatérales ou bilatérales de pacification dans la résolution des conflits (ex : crises au Mali, en Libye, au Yémen, en Erythrée).

Les atouts de l’Algérie

L’Algérie a plusieurs atouts pour faire de ce sommet arabe une réussite en termes de concorde. Elle a une grande expérience dans la médiation et la facilitation du dialogue et de la réconciliation inclusive. Nous avons plusieurs cas historiques en tête.

D’abord en 1975 avec laréconciliation sous les auspices et l’impulsion de l’Algérie entre l’Irak et l’Iran, puis en 1979 lorsque l’Algérie a joué un rôle clé dans la médiation entre l’Iran et les États-Unis. A ce moment-là, elle a été le garant du suivi de la mise en œuvre de l’accord qui a été signé par ces deux parties. Il faut souligner aussi son rôle facilitateur dans la crise malienne et sa dernière prouesse concernant la réconciliation des factions palestiniennes.

L’Algérie a une grande expérience en ce qui concerne la réconciliation interne. La décennie de violence extrémiste des années 1990 n’a été dépassée que lorsqu’il y eut cette réconciliation qui avait débuté en 1998 par la loi de la rahma (loi du pardon). L’Algérie a toujours appelé à des solutions politiques pour la résolution des conflits quelle que soit leur nature. C’est encore le cas pour le Yémen, la Libye et le Sahara Occidental. Ce sont autant d’éléments qui font la force de sa diplomatie.

A travers sa dynamique diplomatique, l’Algérie réaffirme clairement ses appartenances géographiques et définit, également, de manière visible ses intérêts géopolitiques et économiques.

Elle affiche, par la même, ses positions de principe, irrévocables depuis son indépendance. Sa posture déclarée de pays non-aligné confirme qu’elle va continuer à militer pour la résolution des crises dans le monde arabe, l’Afrique, le Sahel et la Méditerranée en prônant des solutions politiques et non militaires.

Avec son insertion progressive sur la nouvelle scène internationale, l’Algérie s’attelle à renforcer sa crédibilité et s’arrime graduellement à ce contexte nouveau régional et international en profonde mutation.

Cette démarche a commencé il y a plusieurs décennies, notamment, par son adhésion au dialogue méditerranéen de l’OTAN, par la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne qu’elle souhaite revisiter et par sa participation au processus de négociations en cours pour son adhésion éventuelle à l’OMC, son appel à la résolution des conflits de faible et moyenne intensité par la voie du dialogue politique et de la réconciliation inclusive et d’offrir ses bons offices de facilitateur au regard de son expérience et expertise dans ce domaine (Iran-Irak, Iran-USA, Ethiopie-Erythrée, et d’autres), la mise en œuvre d’accords régionaux et continentaux de libre-échange (Gzale et Zlecaf).

Une diplomatie à double levier

L’Algérie s’appuie d’ores et déjà sur des plates-formes privilégiées pour activer à l’échelle régionale et sous-régionale (LEA, UA, 5+5, Cemoc, Transsaharan Counter Terrorism Initiative, Afripol) et compte relancer le mouvement des pays non-alignés en adéquation avec la reconfiguration géopolitique et a émis le souhait d’adhérer au club des BRICS pour lequel elle a déjà eu le soutien de la Russie, de la Chine et de l’Afrique du Sud.

Malgré cette ouverture engagée qui se poursuivra certainement avec plus d’acuité dans le cadre d’une intégration régionale progressive et d’une politique de voisinage de convergence, le paradigme de la politique étrangère de l’Algérie demeurera irrévocablement tributaire de ses principes d’autodétermination, de respect de la souveraineté des Etats et de la non-ingérence dans les affaires internes des Etats souverains.

La crise politico-militaire russo-ukrainienne qui a suivi la crise sanitaire de la pandémie de Covid-19 ainsi que la multiplication des conflits de faible et moyenne intensité dans la région Afrique du Nord et Sahel font que l’Algérie dans son regain diplomatique s’appuie, notamment, sur une diplomatie à double levier, énergétique et de proximité pour un positionnement stratégique.

Au regard de la recomposition de la cartographie des alliances géopolitiques avec le développement vraisemblablement d’un monde multipolaire, l’Algérie réaffirme ses appartenances géographiques et définit ses aires d’intérêts géoéconomiques et stratégiques et par la même affiche ses positions de principe qui demeurent irrévocables depuis son indépendance, en l’occurrence sa posture déclarée de non-alignement.

Il est clair que l’Algérie va continuer à militer pour la résolution des crises et conflits d’intensités variables, notamment dans la région du Monde arabe, de l’Afrique, du Sahel et de la Méditerranée par des solutions politiques et non militaires. La concorde, le dialogue et la réconciliation politique inclusive sont, sans doute, les voies que continuera l’Algérie à prôner.

Malgré cette nouvelle dynamique géopolitique, l’Algérie demeure incontestablement un acteur clé dans les processus de réconciliation et de stabilité compte tenu de son expérience, voire son expertise avérée à travers les cinquante dernières années.

*Expert en Géopolitique et membre du Conseil Consultatif d’Experts du World Economic Forum et partie prenante dans divers groupes de travail ‘Track 2’ du système des Nations Unies (UNSCR 1540).