Par Latifa Abada
Le Tassili N’Ajjer n’a jamais cessé d’être traversé, exploré, convoité, rêvé… Emblème d’une splendeur sauvage, il demeure, à travers les siècles, un monde à conter. Célèbre pour ses richesse naturelles et préhistoriques, ce désert renferme un autre patrimoine ; des rites et légendes transmis en langue touarègue, le Tamahaq. L’autrice Yamina Miri valorise ce patrimoine oral à travers son nouvel ouvrage «Des contes et des lieux Tassili N’Ajjer» superbement illustré par Nelia Salah.
A travers sept contes, Yamina Miri emporte son lecteur dans un voyage original dans le monde de Ghozlane qui voulait protéger ses proches, en passant par le repère de Arouchaf, le dernier crocodile du Tassili. On y découvre des personnages comme Ibrahim, le bébé miraculé de In Mourouden, et bien d’autres histoires.
Yamina Miri Aït Abdelmalek a publié un premier livre sur le Tassili N’Ajjer intitulé «Six jours sur le plateau du Tassili N’ajjer» sorti en 2022 chez El Ibriz Editions. Lors d’une rencontre à la librairie L’Arbre à dire, elle explique que ce travail autour des contes est en réalité le premier ouvrage sur lequel elle travaille depuis plusieurs années.
«Ce livre fermente dans mes tiroirs depuis 2013. Et depuis, je suis revenue dessus sans arrêt. Il me tient particulièrement à cœur car il est à la portée des enfants et des adultes. Il ne s’agit pas d’un recueil de contes tassiliens. Je m’inspire de ce qu’on m’a raconté et je donne libre cours à mon imagination. Au départ, je voulais recueillir les véritables légendes du Tassili N’Ajjer racontées par les vieilles femmes nomades. Je me suis vite rendu compte que le travail était laborieux, particulièrement à cause de la langue puisque les contes sont racontés en tamahaq. J’y reviendrai certainement, précise l’autrice.
Les textes sont accompagnés des illustrations de la jeune beausariste Nelia Salah. Les deux femmes racontent que le travail a duré plus d’une année. Leur ambition était de représenter le plus fidèlement possible la nature et la culture des Touareg. Ces illustrations ont été réalisées sur des photos prises par l’autrice elle-même.
Yamina Miri est ingénieur agronome spécialisée en foresterie. Elle est titulaire d’un magister en écologie de l’Institut national agronomique d’Alger. Elle découvre le Sahara central en 2007 et le Tassili N’Ajjer en 2008. Ses récits valorisent la culture targuie et sensibilisent à protéger l’environnement saharien.
Interpeller sur l’écosystème saharien
Sur le contenu de son livre, Yamina Miri précise qu’une histoire a été montée à partir d’un fait véridique. Il s’agit de l’histoire du dernier crocodile tué dans la région d’Edarene. Elle explique que dans la littérature, il est dit que le dernier a été tué entre 1924 et 1925 quand le colon a pénétré le Sahara central. Selon les livres, il y avait un groupe de crocodiles que l’occupant français a exterminé et le dernier d’entre eux a été empaillé et exposé au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
«Ces contes ont plusieurs objectifs. Comme je suis agronome et forestière écologue, je voulais mettre en avant la fragilité des écosystèmes sahariens, notamment la rareté de certaines espèces animales et végétales. J’ai donc mis en scène des personnages animaux et plantes. Si je devais classer mes contes, je dirais qu’ils sont éco-philosophiques. Ecologiques, parce que le fil rouge de tous les contes est la sauvegarde du patrimoine archéologique et naturel. Et philosophique parce qu’il y a une morale comme le veut l’architecture des contes classiques», souligne-t-elle.
Les illustrations sont aussi le reflet de la géologie et des espèces animales de la région. On y trouve une illustration du moula-moula, véritable oiseau du désert, qui indique qu’il y a un point d’eau à proximité.
Pour Yamina Miri, le travail de sensibilisation ne s’arrête pas là. A travers son projet «Les caravanes du coloriage», elle s’engage à transmettre la culture environnementale aux enfants. Ce projet a commencé en 2020 à Djanet où elle a organisé un atelier de coloriage pour enfants tout en les sensibilisant à la nature qui les entoure. Depuis, cette caravane a parcouru Alger, El Abadia à Aïn Defla et ira prochainement à la rencontre des enfants de Tamanrasset, Timimoun, El Ménéa, etc.
«Une partie des bénéfices des livres sert à financer ces caravanes. Je compte aussi sur la générosité de mon entourage. Quand on va à la rencontre de ces enfants, on leur amène aussi des jouets et je tiens à ce qu’ils soient fabriqués en bois, tissu ou en carton pour rester dans cet esprit écologique».
A partir de ces ateliers de coloriage, Yamina Miri a annoncé qu’elle a réalisé un album de coloriage dont le thème est la peinture et les gravures rupestres. Il sera commercialisé prochainement.