Les Algériens de France face à une répression ciblée

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Par M. Mansour

 

De nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et de la société civile algérienne tirent la sonnette d’alarme face à la multiplication des expulsions et des intimidations visant les ressortissants algériens en France. Réunies à Alger jeudi, elles ont fermement condamné ce qu’elles considèrent comme une politique de persécution systématique orchestrée par le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Dans un communiqué lu à l’issue de cette rencontre, la militante Fatni Manar a relayé la position des organisations présentes, affirmant que «les actes d’intimidation et les expulsions menés par les autorités françaises contre les ressortissants algériens constituent une violation flagrante des chartes internationales et des droits de l’homme de la part d’un pays qui prétend en être le garant.»

Les signataires du communiqué soulignent également que «les pratiques des services administratifs du ministère de l’Intérieur, sous la direction de Bruno Retailleau, révèlent un double jeu motivé par des ambitions personnelles en vue de la prochaine élection présidentielle française.» Une accusation qui met en lumière l’arrière-plan politique de ces mesures, où l’idéologie semble l’emporter sur le respect des droits fondamentaux.

 

L’affaire Doualemn symptomatique de cette politique de persécution

L’affaire de l’influenceur Boualem Naman, alias «Doualemn», est une illustration frappante de cette répression. Ciblé par une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) dans des circonstances contestées, son expulsion a été orchestrée dans une mise en scène visant avant tout à servir la communication du ministère de l’Intérieur. Pourtant, cette manœuvre s’est heurtée à un double échec, dans la mesure où Alger a refusé de le recevoir, et la justice française a annulé la décision, la jugeant illégale

Cet épisode illustre parfaitement la politique du spectacle mise en scène par Retailleau, qui a fait des OQTF l’instrument central de sa stratégie de persécution contre la communauté algérienne en France. Déterminé à afficher une posture intransigeante sur l’immigration – et plus encore à l’encontre des ressortissants algériens -, il instrumentalise sans scrupule des cas individuels pour asseoir son image de «chef de guerre» contre les étrangers en situation irrégulière. Mais cette mise en scène se heurte rapidement à la réalité juridique, qui révèle que le petit shérif de la place Beauvau agit bien souvent en dehors du cadre légal, au mépris des droits des personnes expulsées.

 

OQTF abusives et calcul électoral

Depuis son arrivée à la tête du ministère de l’Intérieur, Bruno Retailleau a fait des OQTF une arme politique, mobilisant les préfectures pour intensifier les expulsions, en particulier à l’encontre des Algériens. Une stratégie qui suscite de vives critiques au sein de l’opposition, où nombreux sont ceux qui y voient moins une politique migratoire efficace qu’une manœuvre électoraliste destinée à séduire l’aile droite des Républicains et les partisans de l’extrême droite, adeptes d’une rhétorique xénophobe.

Face à cette offensive, plusieurs figures politiques ont pris la parole pour dénoncer la méthode du ministre. La députée écologiste Sabrina Sebaihi l’accuse d’agir «en petit boutiquier et non en homme d’Etat», dans le but d’«attiser les tensions entre la France et l’Algérie». Elle va même plus loin en affirmant que «la xénophobie et le racisme à l’égard de l’Algérie lui sont bien spécifiques et indépassables, visiblement». Un constat partagé par la présidente du groupe parlementaire de La France Insoumise, Mathilde Panot, qui le qualifie de «fauteur de troubles».

Ces critiques ne viennent pas uniquement de la gauche radicale. L’ancien président socialiste François Hollande, interrogé sur les propos de Retailleau affirmant que la loi ne protégeait plus les Français après le rejet de l’OQTF dans l’affaire Doualemn, a répliqué avec ironie : «Avant tout, Bruno Retailleau devrait connaître la loi», soulignant ainsi ce qu’il perçoit comme une approche démagogique et approximative.

Cette instrumentalisation des OQTF s’inscrit dans un climat plus large de confusion dénoncé par plusieurs intellectuels, à l’image de l’historien Benjamin Stora. Invité récemment sur France 5, ce dernier a alerté sur une tendance à tout amalgamer en France, où «les OQTF, les influenceurs, l’islam… tout est mélangé», critiquant ainsi l’exploitation politique du sujet migratoire.

Enfin, au-delà du débat juridique et politique, certains pointent les conséquences sécuritaires de cette surenchère. L’ancien Premier ministre et ex-chef de la diplomatie Dominique de Villepin s’est exprimé à la suite de l’attaque de Mulhouse, qui a coûté la vie à un vendeur portugais, début mars. Selon lui, le rapport de force prôné par le ministre de l’Intérieur, censé imposer l’exécution des OQTF, «loin de débloquer la situation, conduit à une impasse encore plus grande», dénonçant une stratégie inefficace et dangereusement simpliste.

 

Une stratégie de surenchère en vue de 2027

Ainsi, la raison de cet acharnement sur la communauté algérienne en France, et plus largement sur l’Algérie, est désormais bien connue. Le ministre français de l’Intérieur vise la présidence des Républicains en mai prochain et, à terme, une candidature à l’élection présidentielle de 2027. Dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain, Retailleau s’approprie les thématiques identitaires et sécuritaires qui séduisent une partie croissante de l’électorat conservateur. Son calcul est clair : il veut apparaître comme l’homme du «retour à l’ordre» en durcissant la politique migratoire, quitte à violer les accords internationaux et à fragiliser les relations diplomatiques avec l’Algérie.