Macron recadre sèchement Retailleau : «Chaque ministre doit s’occuper des affaires pour lesquelles il est nommé»

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Macron et son ministre de l'intérieur Bruno Retailleau

PAR MANSOUR M. 

Le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau multiplie les incursions hors de son champ de compétence. Si ce n’étaient ses attaques répétées contre l’Algérie, qui lui servent déjà de tremplin politique, c’est désormais sur d’autres dossiers, comme la politique énergétique qu’il tente de s’imposer, dans une posture d’homme providentiel en quête de stature présidentielle. Sa dernière sortie contre la stratégie énergétique du gouvernement a suscité l’agacement d’Emmanuel Macron, qui l’a sèchement rappelé à l’ordre.
Bruno Retailleau ne s’embarrasse plus de précautions. Dans une tribune publiée récemment dans Le Figaro, le ministre français de l’Intérieur a violemment critiqué la politique énergétique de l’exécutif. Aux côtés de deux cadres des Républicains, il a dénoncé le soutien public aux énergies renouvelables, accusant l’éolien et le solaire d’engendrer une «intermittence coûteuse à gérer». Un positionnement qui va à l’encontre de la ligne gouvernementale, fondée sur la complémentarité entre nucléaire et renouvelables.
Emmanuel Macron a immédiatement répliqué, rappelant que «le nucléaire et les renouvelables ne sont pas des ennemis», et dénonçant des «caricatures» contre-productives. Le président français a profité d’un déplacement pour remettre les pendules à l’heure : «Chaque ministre doit s’occuper des affaires pour lesquelles il est nommé ». Un message clair adressé à Retailleau, de plus en plus perçu comme un ministre en roue libre.

Une stratégie de tension bien rodée
Cette énième prise de position sur un dossier hors de son périmètre ministériel confirme une tendance lourde : Retailleau ne joue plus collectif. À défaut de faire oublier qu’il est responsable de l’Intérieur, il tente d’exister politiquement sur tous les fronts. Une omniprésence qui agace de plus en plus.
Début juillet, soit quelques jours avant le recadrage de Macron, le shérif de la place Beauvau avait publiquement attaqué la diplomatie française, en critiquant la gestion des cas de Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleizes, tous deux détenus en Algérie. Il y dénonçait une «diplomatie silencieuse» inefficace, visant clairement son collègue du Quai d’Orsay, Jean-Noël Barrot.
Dans ces deux dossiers sensibles, Bruno Retailleau a adopté un ton qui relevait davantage de la posture électorale que de la solidarité gouvernementale. «On ne perd jamais à dire la vérité», avait-il lancé, en rupture claire avec la ligne de prudence défendue par la diplomatie française.
Cette nouvelle charge contre l’Algérie a fini par provoquer des réactions au sein même des rangs parlementaires français. Des députés comme Mathieu Lefèvre ont dénoncé une instrumentalisation politique de ces affaires, jugeant contre-productive une stratégie de confrontation systématique avec Alger. Sandrine Rousseau, élue écologiste, a mis en garde contre les dérives d’une escalade verbale hasardeuse. De son côté, Éric Coquerel (LFI) a fustigé une approche qu’il estime anachronique, en rappelant le lourd passé colonial entre les deux pays.
Lors d’une conférence de presse animée par la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, un journaliste a interpellé cette dernière sur les effets délétères de la posture de Retailleau dans les affaires Sansal et Gleizes.

Un ministre-candidat en quête d’incarnation
Derrière ces sorties répétées, une ambition transparaît : se poser en recours, en alternative, en figure d’autorité au sein d’un exécutif qu’il n’hésite plus à contredire. Bruno Retailleau ne respecte plus les règles d’usage et s’emploie à créer un climat de confrontation politique, notamment avec l’Algérie, convaincu que la crispation diplomatique peut renforcer sa stature.
Son activisme tous azimuts a fini par provoquer un rappel à l’ordre de François Bayrou. Le Premier ministre a rappelé que « la politique du gouvernement, c’est celle que je définis», en appelant chacun à plus de «responsabilité» et de «nuance». Une déclaration qui vise directement son ministre de l’Intérieur.

Un isolement assumé ?
Malgré les critiques internes, Retailleau semble faire le pari du clivage. Sa ligne repose sur une communication agressive, une posture d’opposant de l’intérieur, et une rhétorique musclée, notamment sur les sujets liés à l’Algérie. Son antialgérianisme assumé, couplé à un discours souverainiste sur les questions énergétiques ou diplomatiques, compose les éléments d’un positionnement présidentiel.
Il ne s’en cache plus : au gouvernement, il est déjà en campagne. Et peu importe si ses prises de position brouillent le message de l’exécutif, elles affirment sa propre ligne. Reste à savoir combien de temps cette stratégie de l’électrochoc pourra durer sans fracture ouverte au sein du gouvernement Bayrou.