Par Latifa Abada
De ses longues années passées avec les nomades du Imuhar (Touareg), Maria Amara a rapporté dans ses malles un trésor : des savoir-faire artisanaux, des récits de légendes, des coutumes et traditions ancestrales… Cette somme de connaissance s’est traduite par le projet «Terakaft», un atelier nomade pour faire connaître l’artisanat traditionnel touareg.
De Tamanrasset à Adrar, en passant par In Salah et Timimoun où elle a définitivement élu domicile, Maria Amara a fait de ce long voyage une rencontre intime et sincère avec les nomades de ces régions. Sa discrétion et son grand respect pour les coutumes de chaque région lui ont permis d’être accueillie au sein de ces communautés comme si elle était une des leurs.
«Je ne restais pas dans les villes. J’allais surtout dans les villages, notamment Arak et Abalessa à Tamanrasset, Tidikelt à In Salah et bien d’autres. J’ai appris la confection de l’habit traditionnel Affer, la tenue traditionnelle féminine de l’Ahaggar, la confection de bijoux, le travail du cuir et surtout la fabrication d’instruments de musique comme le Tindi et l’Imzad», précise-elle.
«Terakaft» signifie la caravane en Tamacheq, langue touareg. Il s’agit d’un atelier itinérant qui parcourt l’Algérie et la Tunisie pour promouvoir la culture touareg. C’est à Alger que Maria Amara a animé son premier atelier consacré à la fabrication de cuir touareg ; elle a abordé avec les participants la théorie sur la teinture naturelle, ainsi que certains détails techniques.
Mais cet atelier, c’est bien plus qu’un apprentissage technique. Maria Amara enrichit la rencontre par des récits sur la culture et l’artisanat touareg, et ce métier noble de la femme d’Imuar.
Le parcours de cette jeune femme est assez atypique. Sa soif de découverte trouve son origine dans son enfance. Dès l’âge de six ans, ses parents l’inscrivent dans l’association culturelle « Achbal Aïn Benian » où elle apprend le théâtre et se professionnalise assez vite. Avec sa troupe, elle parcourt l’Algérie pour des représentations. Elle avait 14 ans quand elle est partie au Sahara, à Illizi.
Très vite, elle s’imprègne de cette culture et en garde un précieux souvenir. En parallèle de sa carrière au théâtre, Maria Sara Amaria fait un an à l’Ecole des beaux-arts pour apprendre l’art du feu, la céramique et la poterie. Récemment, elle a obtenu un diplôme de l’école pilote de taille de pierre de Tamanrasset.
« Les années passées au théâtre m’ont quelque peu détournée d’autres passions. Après ces diplômes, j’ai repris le kick-boxing ; d’ailleurs, dans le passé j’ai même été championne d’Algérie. J’ai ensuite pris goût à la redondance, pour enfin me consacrer à l’agriculture saharienne à l’institut technologique de formation en agriculture saharienne de Timimoun et une formation en polyculture à Medea. Souvent, les gens pensent que j’ai grandi dans le Sahara. Je suis originaire de Tizi Ouzou et j’ai grandi à Alger. J’ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires qui m’ont transmis un précieux héritage, même si je ne fais pas partie de leur communauté», dit-elle reconnaissante.
Dans son carnet de voyage, Maria Amara notait tout ce qu’elle voyait et ce qu’on lui racontait. Ce petit livret contient des histoires passionnantes sur des traditions peu connues. On apprend, entre autres histoires, que dans la culture touareg, la tente de la future mariée est fabriquée par sa maman.
Celle-ci est confectionnée avec les peaux de chèvre et les branches d’acacia permettant de monter la tente. Elle y note aussi la signification des symboles sur les bijoux et bien d’autres détails sur cette riche culture. «Je travaille actuellement sur un projet de livre. Il a été déposé au niveau de l’ONDA et est dans sa dernière phase. C’est mon carnet de voyage qui raconte mes rencontres et échanges dans le Sahara», confie-elle.
Préserver l’Imzad de l’oubli
En plus de la confection de bijoux, Maria Amara a appris la fabrication des instruments de musique et particulièrement l’Imzad. Un instrument joué uniquement par les femmes et dont on protège jalousement son enseignement. Les femmes fabriquent l’instrument à partir d’une demi-calebasse séchée et vidée.
Celle-ci est tendue d’une peau du côté ouvert, percée de deux ouïes en forme de rosace et munie d’un chevalet en bois en forme de V. Le savoir musical de l’Imzad est transmis oralement selon des méthodes traditionnelles qui favorisent l’observation et l’assimilation.
«C’est dans le camp familial de Keltoum, une amie touareg à Arak, que j’ai appris à fabriquer cet instrument noble. La légende raconte qu’une femme touareg l’a fabriqué pour célébrer une bataille menée par son frère pour sauver sa fille qui a été enlevée. Quand j’ai demandé à apprendre, elles m’ont dit qu’il fallait prouver ma sincérité pour être initiée. Durant les jours que j’ai passés avec les femmes de ce village, j’observais leurs gestes pour reproduire l’instrument, et elles étaient attentives à ma détermination. A la fin du séjour, Keltoum a reconnu ma ténacité et m’a appris les secrets de fabrication», se souvient-elle.
Ce savoir-faire, elle le protège et ne livre jamais tous les détails de sa fabrication. Respectueuse de ce précieux legs, elle fabrique des Imzad pour des expositions, pour le faire connaître et le préserver de l’oubli. Elle a également appris à fabriquer le Tindi, un instrument de percussion, la Gasbat, la flûte traditionnelle.
La signification des bijoux touareg
Dans la couture touareg, l’apprentissage de l’artisanat de façon générale se fait sans contrainte. Keltoum lui disait : «Les jeunes, qu’ils soient garçons ou filles, bénéficient d’une grande liberté. Si leur choix se porte sur le jeu ou toute autre activité plutôt que sur la forge, le cuir ou la bijouterie, ils ne seront jamais contraints».
Concernant la fabrication de bijoux traditionnels touareg, Maria Amara explique que certains bijoux étaient réalisés sur commande pour des besoins personnels, tandis que d’autres représentaient des emblèmes culturels, témoins d’une identité riche et profondément enracinée. Les bijoux féminins se distinguaient par l’ajout d’éléments en cuir, comme la khomaïssa, qui symbolisaient une élégance liée à la tradition.
«A Tamanrasset, il y a un endroit qui s’appelle Sorro El Maalmine où on trouve des ateliers de confection de bijoux exclusivement pour les hommes. C’est là que j’ai appris la base de la bijouterie. En parallèle, je faisais une recherche sur les symboles que je partageais avec l’artisan qui m’apprenait les techniques. Toute ma démarche est dans cet échange et partage de connaissance. Je me devais de prouver que je n’étais pas là pour piller un savoir et en faire un projet commercial. J’admire chaque composante de la culture touareg et j’aspire à la représenter modestement là où mes voyages me mènent», confie Maria.
Sa connaissance des symboles, elle l’a acquise auprès des touaregs d’Agadez du nord du Niger. Elle explique que dans les bagues, on trouve souvent un triangle qui représente la protection. Le demi-cercle au-dessus et le trait en bas symbolisent respectivement le ciel et la terre.
«La plupart des colliers de femmes naissent de cette symbiose entre le cuir fabriqué par les femmes et l’argent sculpté par les hommes. La khomaïssa, par exemple, incarne parfaitement cette alliance ; ses cadres en cuir finement fabriqués sont sertis d’un morceau d’argent, chaque détail symbolique prend vie. Aujourd’hui, comme le veut la tradition, je combine mes deux artisanats, apportant une touche de nouveauté aux bijoux féminins. C’est ma façon d’honorer et de faire évoluer l’artisanat touareg».
Un jour, Maria Amara a confié à son amie Keltoum son inquiétude de voir ses savoir-faire disparaître. Cette femme touareg la rassure affectueusement : «Ne t’inquiète pas, il y aura toujours des Achinkad comme toi, ceux qui apprennent, préservent et transmettent dignement. Pour porter notre culture, il ne suffit pas d’être touareg. Ce qu’il faut, c’est être digne de la porter.»
Ces mots guident Maria Sara Amaria dans ce chemin qu’elle a emprunté, celui de rendre hommage à la culture touareg. Son récit nous porte dans ces contrées lointaines, et nous apprend l’authenticité d’un mode de vie encore peu connu.
Maria Amara vous donne rendez-vous le 21 février pour un atelier traditionnel immersif autour de l’artisanat nomade. Il se déroulera à la ferme pédagogique sise au 28 Plage Khaloufi 1, Zéralda, Alger.