/Il y a 77 ans, à Sétif, Guelma et Kherrata, la France coloniale massacrait 45.000 Algériens qui, dans le sillage de la célébration de la victoire des alliés sur le nazisme, sont sortis manifester à l’appel des Amis du Manifeste et de la liberté (AML) et du Parti du Peuple Algérien (PPA), pour rappeler à la France et ses alliés les revendications nationalistes des Algériens.
Ces massacres qui restent gravés à jamais dans la mémoire collective algérienne, en tant que crime contre l’humanité, ont grandement contribué à radicaliser le mouvement national et sont considérés comme le début de la guerre algérienne d’indépendance nationale.
Au commencement était Sétif
Tout à commencé à Sétif, lorsque les policiers voulurent se saisir du drapeau du PPA, devenu depuis le drapeau algérien, et des banderoles des 6 à 7000 manifestants réclamant la libération de Messali Hadj déporté dans le Sud algérien le 21 avril et l’indépendance. La répression s’abat alors sur les manifestants, dont le porte-drapeau Saâl Bouzid qui sera la figure emblématique des altercations de ces événements qui ont fait des dizaines de blessés et plus d’une centaine de morts à Sétif en moins de 2 heures. Mais, loin d’être sortis du néant, elles ont été précédées par d’d’importantes manifestations de rues qui se déroulèrent le 1er mai dans dix-huit villes algériennes et qui furent parfois assez violentes à Oran (1 mort), à Tébessa, Sétif et Alger (2 morts et 13 blessés). Toutes réclamaient la libération de Messali Hadj déporté dans le Sud algérien le 21 avril, mais aussi la «reconnaissance de la nationalité algérienne», voire l’indépendance. L’onde s’étend au monde rural, où l’on assiste à une levée en masse des tribus. A Guelma, les arrestations et l’action des milices déclenchent les événements, incitant à la vengeance contre les colons des environs. «Les civils européens et la police se livrent à des exécutions massives et à des représailles collectives. Pour empêcher toute enquête, ils rouvrent les charniers et incinèrent les cadavres dans les fours à chaux d’Héliopolis», écrit l’historien Mohamed Harbi dans une tribune sur le Monde diplomatique. À Guelma, le mouvement «se propagea en ondes concentriques autour de ces deux centres durant quatre jours, cependant qu’une répression immédiate et violente écrasa la révolte et se poursuivit contre quelques zones de refuge jusqu’à la fin du mois», soutient encore Charles-Robert Ageron. D’autres manifestations de masse avaient eu lieu le 8 mai dans diverses autres agglomérations du Constantinois ; elles ne firent de victimes qu’à Bône et Guelma notamment où le sous-préfet Achiary a constitué une garde civique armée. Tandis que dix Européens étaient assassinés dans la banlieue, la police arrêtait 9 membres influents des AML qui furent exécutés le 10 mai.
Odieuses représailles
Cependant, la garde civique se livra à d’odieuses représailles contre des habitants de Guelma : il y aurait eu 300 à 400 exécutions sommaires selon l’enquête du commissaire Berge. L’armée était intervenue, et l’aviation militaire mitrailla les rassemblements autour de Guelma. Le préfet de Constantine Lestrade-Carbonnel vint déclarer aux miliciens de Guelma : «Vous avez sauvé l’Algérie qui restera française, je vous félicite et je couvre tout, même les sottises». Le 11 mai, l’insurrection s’étendait à la région de Jijel, et à la bande côtière entre Mansouriah et Bougie. L’artillerie de marine procéda à des tirs et canonna aussi les gorges de Kherrata. Selon les historiens, le ratissage des villages hostiles, les vols d’intimidation (mais aussi les bombardements aériens de mechtas) et les tirs d’artillerie fusant haut, visaient moins à détruire les rassemblements hostiles qu’à terrifier les populations qui évacuèrent leurs douars et se réfugièrent dans les zones montagneuses boisées. Les populations sont contraintes à des manifestations de soumission. Cette répression militaire confiée à des bataillons de Sénégalais, à des tabors marocains et à des légionnaires fut menée sans discernement politique comme une opération de guerre coloniale. Elle atteignit des populations souvent sans armes, procéda à des destructions, des représailles, à quelques pillages et razzias de troupeaux.
Le bilan officiel des victimes européennes durant les quinze jours d’action militaire au 30 juin 1945, est de 102 tués, 86 civils européens, 2 prisonniers de guerre italiens, 14 militaires français (dont 3 soldats «indigènes») et 110 blessés. Mais du côté des Algériens tués par les forces de l’ordre et les milices civiques, le chiffre (8-22 mai) est de 45.000 morts, selon les informations recoupées par la suite par le MTLD, alors que le colonisateur et ses historiens ont bien tenté d’en minimiser le nombre en avançant des chiffres qui ne prennent en compte ni les décès qui n’ont pas été déclarés par les familles ni les nombreux cadavres qui furent brûlés.
C’est ainsi que le président de la fondation du 8 mai 1945, M. Bachir Boumaza, s’éleva contre «les tentatives révisionnistes de l’histoire coloniale française» qui visent à minimiser l’ampleur et l’horreur des massacres de civils algériens, dans une conférence-débat donnée en Sorbonne le 4 mai 1995.
Crime imprescriptible
Pour nombre d’historiens les manifestations qui avaient eu lieu à l’initiative d’un regroupement unitaire, les Amis du Manifeste pour la Liberté (AML) qui réunissait les nationalistes du PPA, les représentants des élus modérés et les partisans des oulémas, avaient une revendication commune, à savoir le rejet de l’assimilation et la revendication de l’indépendance. Dans un contexte international largement favorable, marqué par l’idéologie anticolonialiste de la charte de l’Atlantique (12 août 1942), et forte du succès des premières manifestations, la direction du PPA décida d’élargir la mobilisation populaire en mettant en avant l’indépendance. Ayant prévu la révolte, l’administration coloniale avait pris ses précautions depuis plus d’une année et les plans de la répression étaient prêts. Conséquence : des massacres sur des Algériens sont commis par les forces coloniales le 8 mai 1945 dans les régions de Sétif, Guelma et Kherrata soit, un crime contre l’humanité, imprescriptible selon le droit humanitaire international, mais qui reste impuni, comme le relèvent les historiens.
A. R.