Nouad, expert en diversification industrielle : «90% de ce qu’il y a sur nos étalages viennent de matières importées»

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/Mohamed-Amokrane Nouad, expert en diversification industrielle était présent, hier, au Forum sur l’Agro-Eco (voir ci-contre). Il estime qu’il faut mettre en place une politique d’intégration entre l’agriculture et l’industrie.

L’Etat vient d’interdire certains produits agroalimentaires à l’exportation pour assurer la sécurité alimentaire du pays. Certains craignent quand même que cela refroidisse d’éventuels investisseurs dans le domaine…

Il ne faut pas trop spéculer là-dessus tant qu’on n’a pas les textes d’application. Il s’agit de produits soutenus que sont le sucre, l’huile et les pates. Il y a une crise qui s’annonce et on ne sait pas de quoi sera fait demain. Aujourd’hui, on est dans une conjoncture complexe, et on achète des produits qui devraient nous permettre de constituer un stock de sécurité, parce que demain même avec notre argent on ne pourra pas acheter. Dans l’esprit des décideurs, c’est une bonne chose. Seulement, on aurait pu agir différemment.

Comment ?

On aurait pu suspendre et dire satisfaisons d’abord nos besoins, constituons des stocks et voyons après l’exportation avec une plus-value, parce qu’il y a toujours une plus-value à l’export. Aujourd’hui, l’exportation du sucre, c’est 400 millions de dollars, c’est 200 millions de dollars d’huile et je ne sais combien en pates alimentaires, ce qui réduit la facture d’exportation hors hydrocarbures. Donc, il faut se demander quelle est la vision stratégique des uns et des autres, et quels sont les véritables enjeux ? Nous n’avons, malheureusement, pas les tenants et les aboutissants. On peut faire des supputations, mais il faut revenir à la logique : il y a une situation de crise, il y a un risque, et il faut gérer ce risque. Si on n’a pas appris les leçons de 2005 et 2008, on va retomber dans les travers. Mais quand on voit le coût de ces matières importées qui sont transformées pour être exportées, ce n’est pas aussi faramineux et cela ne peut pas impacter la facture d’importation. Mais le politique a ses raisons.

L’agroalimentaire était au cœur de votre intervention ce matin.

On a essayé de cerner l’agroalimentaire dans son volet global, pour aboutir demain à une agriculture intégrée avec une jonction entre l’agriculture et l’industrie. On a essayé de mettre en valeur certains points en disant qu’il faut diversifier pour pouvoir accroitre la production ou le nombre d’entreprises. Généralement, on voit la diversification comme un vecteur de la relance économique, et il y a beaucoup à faire dans ce domaine. La diversification peut introduire l’échelle de valeur, elle peut permettre d’étendre son business et de l’étendre au maximum. En parlant d’échelle de valeur, laissez-moi vous dire qu’aujourd’hui, on consomme, en matière d’agriculture, des produits frais. Et comme je le disais ce matin, le frais dans un pays européen, c’est du luxe. Chez nous, les produits agricoles transformés représentent 10% de la production agricole, alors qu’en Europe c’est 50%, jusqu’à 95%. Cela représente un manque à gagner, et ce manque à gagner induit d’autres phénomènes : le gaspillage. Comme on dit, tout se transforme et rien ne se perd. Chez l’agriculteur, il y a près de 30% de pertes, chez le distributeur, c’est environ 10% et 10% au niveau du consommateur. Cela nous fait 50% de pertes. Mais si cette production a été valorisée à travers la transformation, c’est un maximum de 10% qui est perdu. Mais avec ces 30 à 40% de récupérés, c’est un gage supplémentaire pour la sécurité alimentaire du pays.

Y a-t-il un débat sur la primauté de consommer ou transformer ce qu’on produit ?

Non, dans le sens où on va vers la valorisation. Maintenant il y a un autre phénomène, c’est le territoire, et il faut valoriser les territoires. Si on voit les industries de la transformation, elles sont majoritairement implantées près des ports et des aéroports, loin des potentiels productifs. Cela engendre des surcoûts et des surcharges. Pour ce qui est de l’agriculture, il y a l’agriculture de bouche, celle qu’on consomme, et l’agriculture industrielle et ce n’est pas la même chose. La pomme de terre qu’on consomme n’est pas la même que celle qui est destinée à la transformation. Il en est de même pour les carottes, les tomates ou les oranges. C’est des variétés différentes. Aujourd’hui, on est devant un dilemme de base : on n’a pas d’agriculture dédiée à l’industrie. Et dans le cadre du déploiement territorial, il faut déterminer les potentialités destinées à l’industrie si on veut réellement développer le secteur.

Quel impact sur l’industrie agroalimentaire algérienne ?

Il faut se demander pourquoi nos entreprises, aujourd’hui, n’intègrent pas la production nationale. 80 à 90% des produits qui sont sur les étalages sont produits à partir de matières importées. Donc, il y a un problème, et il faut situer l’erreur. Les producteurs invoquent les soucis de qualité, de disponibilité et de prix, alors que les fellahs disent que ce n’est pas de leur faute. Pour éviter cela, il faut une politique d’intégration réelle. Contrairement aux idées préconçues, ce ne sont pas les déchets ou produits de mauvaise qualité qu’on envoie à la transformation. Il y a une incompréhension des uns et des autres et il faut reconstruire la synergie pour parler le même langage. Et dans le monde, la locomotive du développement de l’agriculture, c’est l’industrie, parce que c’est elle qui donne la commande, et non l’inverse. Il faut passer par un comité de filières, des partenariats publics-privés, et des engagements qui sécurisent les producteurs et les industriels.

B. A.