Par M. Mansour
Présenté, hier, devant les députés de l’Assemblée populaire nationale (APN), le nouveau projet de Code de procédure pénale introduit une série de mécanismes inédits qui visent, selon les termes du ministre de la Justice, garde des Sceaux, Lotfi Boudjemaâ, à «protéger l’argent public et consolider l’économie nationale». Le texte s’attaque, en effet, à plusieurs angles morts de l’arsenal juridique, en introduisant notamment des solutions alternatives aux poursuites classiques, en adaptant le traitement des affaires à leur gravité réelle, et en créant de nouvelles institutions pour une gestion plus efficace des biens et des fonds issus de la délinquance économique.
Des alternatives ciblées
Au cœur de la réforme réside l’introduction d’alternatives aux poursuites pénales visant les personnes morales, c’est-à-dire les entités juridiques telles que les entreprises ou les associations. Ce dispositif offrirait, dans un cadre restreint d’infractions clairement définies par la loi, la possibilité de suspendre les poursuites, à condition que soient restitués les fonds détournés, les biens transférés illicitement, y compris ceux envoyés à l’étranger, ou leurs équivalents en valeur. A cela s’ajoute l’obligation de régler intégralement les sommes dues au Trésor public. Le ministre précise que ce mécanisme ne constitue pas un abandon des poursuites, mais plutôt une voie pragmatique pour récupérer concrètement ce qui a été soustrait à l’Etat. Il s’agit, selon lui, de répondre à la nécessité impérative de «préserver les intérêts financiers de l’Etat, tout en garantissant la réparation matérielle des préjudices causés».
L’un des effets attendus de cette réforme pourrait être le désengorgement des tribunaux. Cette évolution s’inscrit dans une tendance observée à l’échelle internationale, comparable à celle des Etats-Unis, qui ont largement adopté des mécanismes similaires, tels que les accords de non-poursuite ou les accords de plaidoirie. Ces dispositifs permettent aux entreprises de régler une amende ou de restituer des fonds détournés en échange de l’abandon des poursuites pénales. En Europe, des systèmes de compliance pénale existent, tandis qu’en Afrique du Sud, la lutte contre la corruption a conduit à la mise en place de mécanismes de règlement alternatif des conflits dans certaines affaires économiques, facilitant une résolution plus rapide et moins coûteuse des affaires pénales.
Une agence pour encadrer la gestion des biens saisis
Dans le même esprit, le texte prévoit la création d’une agence nationale chargée de la gestion des biens et des fonds et des avoirs gelés, saisis ou confisqués. Cette structure, aujourd’hui inexistante, comblera un vide institutionnel souvent pointé dans les affaires économiques. Elle prendra en charge non seulement les biens saisis dans le cadre d’enquêtes judiciaires, mais aussi ceux soumis à des mesures conservatoires, en attente de jugement. Le mandat de cette agence inclura également la récupération et le rapatriement des fonds dissimulés à l’étranger. Pour le ministre, cette institution représente une réponse pragmatique à une réalité sensible : «Il est inadmissible que des biens gelés pendant des années perdent leur valeur faute d’une structure chargée de les gérer».
Finies les lettres anonymes
Le projet de loi s’inscrit, ainsi, dans une réforme globale du système procédural, visant à repenser en profondeur les mécanismes de gestion publique. Il repose sur cinq volets principaux, dont peut-être le plus important porte sur la protection juridique des responsables dans l’exercice de leurs fonctions. L’objectif est de réduire les risques de poursuites pénales liés à l’acte de gestion, dans un contexte où l’erreur humaine peut survenir. A ce propos, le président Abdelmadjid Tebboune a, à maintes reprises, rappelé que l’erreur fait partie de l’équation et que les responsables ne devraient pas être pénalisés pour des erreurs non intentionnelles, à condition qu’elles ne soient pas motivées par des intérêts personnels ni ne bénéficient à leurs proches.
Dans cette optique, le projet de loi introduit des mesures concrètes visant à clarifier la distinction entre la faute de gestion, qui pourrait être le fruit d’une décision malencontreuse mais non malveillante, et la faute pénale, qui relève d’une intention criminelle. L’une des innovations majeures du texte réside dans le fait de ne pas tenir compte des lettres anonymes dans le cadre des plaintes, un mécanisme qui pourrait potentiellement servir d’instrument de manipulation ou de déstabilisation.
Ce projet de loi répond ainsi à une volonté politique affirmée, portée au plus haut niveau de l’Etat, visant à soustraire les gestionnaires publics aux poursuites injustifiées, tout en consolidant la lutte contre la corruption. L’objectif est d’encourager une gouvernance plus transparente et responsable, en créant un climat de confiance favorable à une gestion publique à la fois plus efficace et éthique.