/Depuis plusieurs semaines, la classe moyenne américaine se plaint de la hausse importante du prix de l’essence à la pompe. A deux jours de Thanksgiving, Joe Biden réagit en tentant d’influer sur les cours du pétrole en «destockant» près de 50 millions de barils issus des réserves stratégique américaines.
La fausse bonne idée de l’année ? Brandie depuis des semaines par une administration Biden mécontente de la politique d’offre des pays producteurs de pétrole réunis au sein de l’alliance élargi Opep+, la menace d’une libération des réserves stratégiques a finalement été mise à exécution. Cette offensive, inédite et soutenue selon l’administration américaine par d’autres grands consommateurs comme la Chine, l’Inde ou la Corée du Sud, intervient dans un contexte où les prix à la pompe évoluent à un sommet depuis juin 2014 aux Etats-Unis, à 3,70$ le gallon (3,785 litres).
«Aujourd’hui, j’annonce une action visant à réduire le coût du gaz et du pétrole pour les familles américaines», a ainsi tweeté le président Joe Biden, quelques minutes après un communiqué de la Maison Blanche. «Le ministère de l’Energie va libérer 50 millions de barils de pétrole des réserves stratégiques afin de faire baisser les prix pour les Américains et de remédier à l’inadéquation entre la demande au sortir de la pandémie et l’offre», y est-il expliqué. Pour Louise Dickson, analyste au sein du cabinet de conseil en énergie (Rystad), cette action «historique et peu orthodoxe» constitue «clairement un message » à destination de l’Opep, pour signifier au cartel de producteurs qu’il «n’est pas le seul acteur sur le marché du pétrole». «Cet effort coordonné forme une alliance informelle du côté des pays consommateurs», juge-t-elle, estimant néanmoins que cette décision «ne fait que repousser le problème de l’approvisionnement dans le temps, et risque de mettre à rude épreuve des stocks de pétrole déjà faibles».
Vers un changement du calendrier de l’Opep+
D’un autre côté, une information a été rapportée par l’agence Bloomberg, selon laquelle l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs alliés de l’accord Opep+ seraient prêts à revoir leur calendrier de production en cas d’utilisation des réserves stratégiques. «L’Opep va probablement réduire sa production dans une certaine mesure en réaction au pompage des réserves, ou en tout cas menacer de le faire», estime Bill O’Grady. Par le passé, l’Opep n’a que rarement réagi à une utilisation massive des réserves stratégiques américaines, qui étaient souvent consécutives à un conflit armé (1991 et 2011) ou un événement climatique (2005). «Mais cette fois, c’est différent», estime Bill O’Grady. «Ce sont les Etats-Unis et d’autres pays qui ont décidé de faire baisser les prix. On voit rarement une utilisation des réserves pour ce qui semble être une pure manipulation de marché.» L’augmentation graduelle de la production à laquelle l’OPEP+ s’était engagée serait d’ores et déjà remise en cause pour le mois de janvier prochain annoncent certains spécialistes. Ces derniers considèrent donc cette manœuvre plus symbolique qu’efficace, l’Opep+ gardant la main sur le marché. Ces 50 millions de barils correspondent de fait peu ou prou à une demi-journée de consommation mondiale de pétrole, ou à «trois jours de demande des raffineries des Etats-Unis où la consommation de brut s’élevant à 19,5 millions de barils par jour», souligne Andy Lipow du cabinet Lipow Oil Associates. D’un côté, l’annonce de l’implication de la Chine par l’administration Biden ne semble pas convaincre les marchés. Difficile d’imaginer, en effet, une alliance sino-américaine au détriment d’alliés traditionnel de la Chine comme la Russie, le Nigeria ou l’Algérie.
R. N.
Un 4e flop américain
Les présidents américains n’ont recouru que trois fois aux réserves stratégiques par le passé : au moment de l’opération militaire menée par les Etats-Unis suivant l’invasion du Koweït par l’Irak en 1991 (17 millions de barils), pendant l’ouragan Katrina en 2005 (11 millions) et lors du soulèvement en Libye en 2011 (30 millions). Et historiquement, « cette solution ne fonctionne pas bien car cela apparaît aux investisseurs comme une solution de dernier ressort, donc les prix baissent momentanément avant de remonter », relève Benjamin Louvet. Constat qui s’est vérifié hier avec un brusque mais bref repli des cours des principales références mondiales de brut juste après l’annonce, avant un vif rebond. Vers 16h30, le baril de Brent reprenait ainsi 1,9% à 81,2 dollars quand celui de West Texas Intermediate s’appréciait de 1,4% à 77,8 dollars.