Pr Abdesselem répond à l’étude publiée par le « Washington Post » : «Les pluies sur le Bécharois n’ont rien d’inhabituel»

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Par Brahim Aziez

 

Le pays vit, depuis le début de l’automne, des épisodes pluviométriques qui ont rempli le barrage du Bécharois, mais aussi causé des dégâts assez importants chez les populations locales. Hier encore, des BMS (Bulletin météo spécial) étaient émis par les services de météorologie, dont des alertes vigilance rouge sur Béchar et Naâma, et des alertes de vigilance orange sur les wilayas d’El Bayadh, Tlemcen, Sidi Bel Abbes et Saïda. Des précipitations pour le moins inhabituelles, particulièrement dans l’ouest et le sud du pays. Et les échos d’un probable chamboulement dans le Sahara algérien ne sont pas pour rassurer. En effet, une étude publiée récemment par le « Washington Post » révèle que, selon des experts, le désert allait connaître en septembre des précipitations 5 fois supérieures à la moyenne de saison, et évoque la formation imminente de crues et d’inondations d’une ampleur exceptionnelle dans le Sahara, touchant notamment l’Algérie, la Libye et certains pays du Sahel. De telles précipitations dans le désert, dont une grande partie est située en Algérie, constitueraient un phénomène météorologique extrêmement rare. Pis, ce phénomène pourrait signaler des perturbations atmosphériques inhabituelles et un changement dans les schémas météorologiques mondiaux.

Qu’en est-il réellement ? Rien d’inhabituel pour le Dr Malek Abdesselem, chercheur-enseignant et directeur du laboratoire hydrique à l’Université de Tizi Ouzou. Mais selon ce dernier, il faut d’abord définir le climat des régions sahariennes algériennes et étudier leur historique. Il y a une étude de 1953 qui reprend tout cela, avec des mesures dans tous les oueds, depuis la mer rouge jusqu’au Sénégal. On a des stations de mesures qui relèvent les données aussi bien à Béchar qu’à Tamanrasset et dans l’Assekrem.

Il en serait de même pour les pluies enregistrées dans le nord, l’est et l’ouest du pays.

Le Dr Malek Abdesselem qui publie régulièrement sur page Facebook des mesures sur les précipitations enregistrées à travers le pays l’affirme chiffres à l’appui.

 

«C’est normal qu’il pleuve en cette période au Sahara»

Par ailleurs, le climat saharien qui est caractérisé par une saison des pluies qui va de juin jusqu’à fin septembre est totalement différent de celui qu’on a au Nord. Et ces quantités de pluies seraient relativement classiques, selon notre interlocuteur, mais caractérisées par une grande irrégularité. «C’est tout à fait normal qu’il pleuve en cette période de l’année au Sahara, on appelle cela la remontée du froid intertropical, comme chaque année», nous apprendra-t-il en nous renvoyant vers l’histoire de l’accident d’avion d’Air Algérie, survenu il y a quelques années, et où les pilotes de l’avion affrété n’avaient pas l’expérience pour naviguer dans ces régions-là, selon lui, car les cellules orageuses sont fréquentes à cette période de l’année. Et à ce propos, il affirmera, amèrement qu’«au lieu de la contourner, ils sont rentrés dedans».

Plus affirmatif, il dira qu’«il est tout à fait normal d’avoir de pareilles pluies sur Béchar et l’oued Saoura connait assez régulièrement ce genre d’écoulements. Sauf que les pluies peuvent s’abattre un peu plus au Nord, un peu plus à l’Est ou à l’Ouest, et à ce moment là s’il y a des gens qui habitent ces régions cela se voit, sinon cela ne se voit pas».

Plus rassurant, il soulignera que, dans quelques jours, il n’y aura presque plus de pluie au Sahara. «Il peut y avoir des amas dirigés par l’Atlas marocain et l’Atlas algérien, et qui seraient bloqués à cet endroit-là avec de grosses pluies, mais est-ce que cela sera de la même ampleur ?» s’interrogera t-il. Personne ne peut encore le dire, à son avis.

Pour revenir à Béchar, l’on apprendra qu’il y a eu 2 fois 50 mm fin juin 2014, alors que depuis le 1er septembre 2024, il est tombé 75 mm de pluie sur Béchar, concentrés sur 2 jours.

 

«Menace sur oued El Harrach»

Plus inquiet, le Dr Malek Abdesselem nous rappellera «un épisode similaire» en septembre 2023 en Libye, sauf que celui-ci s’est accentué avec une tempête méditerranéenne. «C’était carrément un ouragan méditerranéen», mais les mêmes quantités d’eaux pluviales auraient été enregistrées, juste avant mai de l’année dernière, entre Koléa et Bouharoun.

L’enseignant-chercher reviendra sur oued El Harrach sur lequel pèseraient des menaces de crues. «Comme je n’ai cessé de le répéter, on risque d’avoir le même phénomène sur oued El Harrach, avec tous les ponts qui ont été construits tout au long de son parcours, en plus de la promenade érigée à son embouchure, cela peut amener à vivre le même phénomène qu’à Derna en Libye où les dégâts n’ont pas tant été causés par le barrage qui a cédé, mais plutôt par l’eau qui n’a pas pu être évacuée», alertera-t-il. L’ensemble des constructions édifiées depuis pourraient, selon lui, constituer un obstacle à l’écoulement des eaux pluviales, les arbres qui ont poussé sur ses rives pourraient faire barrage au déversement des eaux dans la mer. Des alertes ont été transmises par le directeur du laboratoire hydrique à l’Université de Tizi Ouzou aux structures concernées, en attendant d’être reçu pour les exposer plus en détail. Et de rappeler que «le phénomène s’est déjà produit en 1974 et l’eau était montée à plus de 50 cm, et «on n’avait pas autant de constructions, donc d’obstacles, qu’aujourd’hui», ajoutera t-il.