Quand la Grande Mosquée de Paris devient incontournable

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Par M. Mansour

 

Le meurtre d’Aboubakar Cissé, poignardé en pleine prière dans une mosquée du Gard le 25 avril, a provoqué une onde de choc en France. Dans un pays traversé par des tensions identitaires persistantes, la décision de Bruno Retailleau de se rendre sur les lieux deux jours après les faits a suscité de vives critiques, l’incitant peut-être à réévaluer sa position. Ce climat a fini par raviver l’intérêt pour une voix longtemps reléguée au second plan : celle de la Grande Mosquée de Paris, représentée par son recteur Chems-Eddine Hafiz. Marginalisée dans le contexte de la crise entre Alger et Paris, cette institution religieuse se retrouve aujourd’hui sollicitée par les politiques et par des médias français à la recherche d’un relais capable de canaliser la colère et d’appeler au calme.

Depuis plusieurs mois, la Grande Mosquée de Paris fait l’objet d’attaques répétées et virulentes, notamment sur les plateaux de CNews, chaîne d’information continue dont l’orientation idéologique ne fait plus mystère. Le 30 avril dernier, l’institution religieuse a publié un communiqué pour dénoncer une «campagne calomnieuse intolérable», menée par des accusations infondées. Face à cette offensive, la réponse de la Mosquée n’a pas tardé. Elle y voit une stratégie délibérée, orchestrée pour entretenir la méfiance à l’égard des musulmans de France. Une manœuvre qui, loin d’être isolée, s’inscrit selon elle dans une dynamique plus large de marginalisation.

 

Fantasmes et amalgames autour de la certification halal

Cette offensive médiatique s’inscrit dans un climat déjà tendu, marqué par la controverse autour de la certification halal, décrite à tort comme opaque, exclusive, voire contraire aux principes de laïcité. Face à ces accusations, le recteur Chems- Eddine Hafiz a dû réagir en publiant un communiqué affirmant que toutes les activités de la Mosquée s’inscrivent strictement dans le cadre des législations française, algérienne et européenne.

Malgré une campagne de dénigrement persistante, la Grande Mosquée de Paris a rapidement retrouvé une place centrale dans le débat public, à la faveur de l’émotion suscitée par le meurtre atroce du jeune Aboubakar Cissé. Ce drame, d’une violence inouïe, a mis en lumière le rôle essentiel de cette institution dans la cohésion sociale en France. L’affaire a pris une dimension politique avec l’attitude controversée du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, dont le silence initial a été vivement critiqué. Attendu dès les premières heures, le ministre ne s’est rendu sur les lieux qu’après 48 heures, cédant à la pression de l’opinion publique. Ce retard a été perçu par beaucoup comme un signe de désinvolture, voire de mépris. Tentant de réparer ce faux pas, il a proposé de rencontrer la famille du défunt, une initiative mal accueillie. En deuil, les proches d’Aboubakar Cissé ont décliné l’invitation, exprimant ainsi leur désapprobation face à ce qu’ils considèrent comme une récupération politique tardive.

 

Le rôle d’interface

Dans un climat de fortes tensions, la Grande Mosquée de Paris s’est imposée comme un acteur de référence face à l’inaction perçue des autorités. L’institution religieuse semble jouer le rôle de courroie de transmission entre la communauté musulmane et les pouvoirs publics français. À travers les interventions mesurées, M. Hafiz, désormais figure incontournable dans les médias,  incarne une position de modération et de responsabilité, dans un contexte marqué par la polarisation.

C’est dans ce cadre, et à la surprise générale, que Retailleau a choisi de se rendre, hier, à la Grande Mosquée de Paris pour rencontrer son recteur, sans toutefois prendre part à la cérémonie d’hommage à la victime, Aboubakar Cissé. Un geste probablement calculé, puisqu’en plus de répondre aux pressions énormes et à la pluie de critiques, notamment de la part de la gauche radicale et d’une partie de l’opinion publique française qui se sont demandées si le ministre aurait réagi de la même manière si un tel drame avait frappé un juif ou un chrétien, Retailleau a sans doute pris en considération ces questions en cherchant à ratisser également dans le réservoir d’électeurs plus modérés. Une démarche qui visait à redorer son image et à reprendre la main sur un dossier devenu particulièrement sensible.

Ainsi, loin d’être un acteur périphérique, la Grande Mosquée de Paris s’impose aujourd’hui au centre du débat public en France. Il n’est pas sans rappeler qu’au dernier Ramadan, Bruno Retailleau avait choisi de ne pas participer à l’iftar à la Grande Mosquée, contrairement à ses prédécesseurs, qui avaient tous pris part à cette tradition. Il justifiait cette décision par son attachement aux principes laïques. Pourtant, face aux impératifs politiques et aux dynamiques de pouvoir, cette position semble aujourd’hui s’effacer, illustrant la manière dont les priorités politiques peuvent redéfinir, voire atténuer, des valeurs longtemps défendues