Par M. Mansour
La visite du ministre des Affaires étrangères turc en Algérie a été une occasion pour les deux pays de réaffirmer leurs convergences de vues sur plusieurs dossiers internationaux. Ankara a tenu aussi à faire part de son soutien à la position d’Alger concernant le Sahel.
Alger a accueilli hier la troisième réunion du groupe de planification conjointe algéro-turque. Bien plus qu’un simple rendez-vous diplomatique, cette rencontre a illustré la profondeur du partenariat entre les deux pays, qualifié de «stratégique» par Ahmed Attaf. Il ne s’agit donc plus de simples échanges ni d’accords ponctuels, mais d’un véritable projet politique, à la fois ambitieux et pérenne.
La tonalité des propos tenus par les chefs de la diplomatie des deux pays traduisait une satisfaction manifeste. Dans ce contexte, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a affirmé que cette session a permis «d’atteindre l’ensemble des objectifs escomptés». Il ne s’agissait pas seulement de dresser un bilan technique, mais de mettre en lumière la profondeur d’une relation qui dépasse désormais le cadre symbolique. Dans ce sens, le ministre a souligné la pertinence de la démarche engagée par les deux dirigeants des deux pays, rappelant que «la décision de nos deux Présidents de fonder cette commission comme un espace institutionnel permet de traiter des priorités communes et de lever les obstacles à leur concrétisation».
Une dynamique économique forte et affirmée
Les chiffres reflètent d’ailleurs cette dynamique. Le commerce bilatéral a atteint les 6 milliards de dollars en 2024, et l’objectif de 10 milliards a été maintenu. Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a rappelé qu’il y a «près de 1400 entreprises turques en Algérie» et qu’elles «contribuent à l’économie locale et à la création d’emplois». Une présence qui dépasse le cadre des échanges commerciaux pour s’étendre à une véritable intégration économique, avec des projets couvrant des secteurs aussi divers que le BTP, le textile et la sidérurgie. Autre fait notable, les investissements directs turcs en Algérie ont atteint 6 milliards de dollars, un montant destiné à croître dans les années à venir, notamment avec la perspective de la signature d’un accord commercial préférentiel entre les deux pays.
Mais derrière ces données se cache la volonté stratégique profonde de faire de l’Algérie un pôle industriel d’envergure, capable de jouer un rôle central dans la région. L’Algérie, selon M. Attaf, est «aujourd’hui le premier partenaire commercial de la Turquie en Afrique», et cela dépasse de loin le simple domaine des hydrocarbures. C’est bien plus une complémentarité stratégique que la recherche de nouvelles opportunités économiques qui guide ce partenariat.
L’énergie, un axe incontournable
L’énergie demeure indéniablement un axe stratégique de cette coopération. Alors que la Turquie cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement, l’Algérie, en tant que fournisseur énergétique clé, s’impose comme un partenaire stratégique majeur. L’exportation d’environ 4,05 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié vers la Turquie en 2024 en témoigne. Cette tendance est confirmée par les propos du ministre turc, qui a déclaré : «L’Algérie est l’un de nos partenaires énergétiques clés, et nous souhaitons renforcer cette coopération». L’accent est mis non seulement sur des contrats de fourniture de gaz, mais aussi sur des projets dans les énergies renouvelables «afin de sécuriser l’avenir tout en anticipant la transition énergétique inévitable». Ces initiatives vont bien au-delà d’un simple échange de ressources ; elles témoignent d’une construction commune pour un avenir énergétique partagé.
Une alliance humaine et culturelle qui se tisse
Au-delà des échanges commerciaux et énergétiques, l’alliance algéro-turque investit aussi dans des domaines moins visibles mais tout aussi cruciaux, à l’image de la culture et de l’éducation. A ce sujet, M. Attaf a annoncé l’ouverture d’un centre culturel algérien en Turquie et d’un centre culturel turc en Algérie, en plus d’un projet pour installer une école internationale turque en Algérie. Pour sa part, le chef de la diplomatie turque a salué les «pas concrets pour matérialiser les décisions de nos deux chefs d’Etat», précisant que ces projets sont «un témoignage de la profondeur des liens» tissés entre les deux pays. Un soft power efficace, qui s’inscrit dans la durée, avec pour objectif de renforcer les échanges intellectuels et culturels tout en créant des ponts entre les sociétés.
Une diplomatie régionale affirmée et coordonnée
Sur la scène régionale, l’Algérie et la Turquie ont trouvé un terrain de convergence, notamment sur les dossiers sensibles du Moyen-Orient, du Maghreb et du Sahel. Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a indiqué que les deux parties s’étaient penchées sur la question palestinienne et l’extermination de masse en cours à Ghaza. «Nos deux pays souhaitent intensifier les concertations et mettre en place des politiques communes.» Cette solidarité dépasse le stade des déclarations pour se traduire par une action concertée. Il a d’ailleurs souligné la priorité accordée à «l’acheminement de l’aide humanitaire et l’instauration immédiate d’un cessez-le-feu».
Dans ce contexte, l’Algérie joue, selon M. Fidan, un rôle central au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, où elle «fait entendre avec succès les préoccupations de notre région». Concernant la Libye, le chef de la diplomatie turque a réitéré l’appel de son pays à des discussions constructives. «Nous avons également abordé la situation en Libye. Pour parvenir à une paix et une sécurité durables dans ce pays, nous encourageons les différentes parties à engager un dialogue constructif, sincère et efficace», a-t-il déclaré, ajoutant : «S’agissant de la région du Sahel, nous considérons que pour régler le problème du terrorisme et de l’extrémisme, nous allons continuer à travailler ensemble (avec l’Algérie, ndlr). Nous soutenons la position algérienne, qui perçoit la résolution des questions régionales avec clarté et discernement.»
Une projection géopolitique commune
Ce partenariat ne se limite cependant pas aux seuls enjeux bilatéraux. L’Algérie et la Turquie, au-delà de leurs relations directes, s’emploient à redessiner les équilibres régionaux. Déjà solidement implantée en Afrique, la Turquie voit en l’Algérie un allié stratégique et crédible pour élargir son influence sur le continent. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a exprimé la volonté d’«enrichir le cadre juridique», à travers des accords destinés à faciliter les échanges commerciaux et à sécuriser les investissements. Hakan Fidan a précisé à ce titre que «21 textes sont déjà prêts à la signature», illustrant l’ambition commune de bâtir une architecture régionale de coopération solide et durable. Cette dynamique dépasse largement le cadre des échanges économiques et s’inscrit dans une logique de projection géopolitique visant à établir un axe stratégique susceptible de reconfigurer les rapports de force en Méditerranée et en Afrique.