Sétif : l’écogîte Aguemmoum, un exemple pour le tourisme rural

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Au cœur du parc national Babor-Tababort, au milieu d’une nature flamboyante, un écogîte accueille depuis quelques années des citoyens à la recherche d’un tourisme rural. L’écogîte Aguemmoum à Sétif a vu le jour, à l’initiative de Mahmoud Belaout, un entrepreneur social qui a transformé une maison familiale vernaculaire en un lieu qui invite à renouer avec un mode de vie éco-responsable.

L’écogîte Aguemmoum se situe sur le territoire de Babor-Tababort classé comme aire protégée depuis 2019. Cette région montagneuse recèle un écosystème très riche en espèces animales et végétales. Il s’étend sur les wilayas de Sétif, Béjaïa et Jijel.

Invité par le centre algérien pour le développement de l’entrepreneuriat social, Mahmoud Belaout revient sur cette expérience dans le domaine du tourisme de montagne. Mû par la volonté de faire connaître sa région et promouvoir les bienfaits de la nature, Mahmoud s’est néanmoins heurté à un bon nombre de difficultés.

L’écogîte Aguemmoum accueille régulièrement des visiteurs, que Mahmoud préfère qualifier d’invités. Ils ont le choix entre dormir dans la maison traditionnelle ou en bivouac. Ils découvriront les traditions culinaires de la région, faites de produits bio et cuisinés dans des ustensiles fabriqués par des matériaux naturels comme le bois et la terre cuite.

Le lieu ne dispose ni d’électricité ni de réseau. Il y a un groupe électrogène pour les touristes qui le souhaitent, mais Mahmoud précise que les personnes qui viennent s’adaptent au mode de vie. Sur la carte des activités, la visite des cascades d’Oued El-Bared, des randonnées en forêt, découverte des produits locaux, etc.

 

Tout le monde y gagne

Si aujourd’hui l’écogîte Aguemmoum propose toutes ces prestations et fait participer tous les habitants de la région à l’accueil des visiteurs, le chemin a été semé d’embûches.

«J’ai arrêté mes études très jeune, en deuxième année secondaire. Depuis, j’ai fait tous les métiers possibles et imaginables. Arrivé à la quarantaine, il fallait que je me stabilise, mais sans diplôme ce n’était pas évident. Quand j’ai eu l’idée de faire du tourisme, j’ai relevé deux grandes difficultés ; convaincre ma famille, car cela voulait dire que nos revenus, déjà moyens, allaient encore diminuer le temps de mettre sur pied le projet. Et deuxièmement, convaincre les gens de la région qui voient rarement des étrangers», se souvient Mahmoud.

N’ayant pas eu le courage de leur en parler, il commence par faire des travaux sur le site sans rien dire à personne. Il réhabilite la vieille maison, et la tâche est ardue, puisqu’il doit le faire selon des techniques anciennes et en respectant son aspect écologique. Il prépare également le terrain pour le bivouac.

«J’ai travaillé en catimini pendant un an et demi avant que ça ne se sache. Si ma famille a fini par accepter l’idée, il fallait convaincre les habitants. J’ai fait preuve de beaucoup de patience et j’ai particulièrement insisté sur l’aspect économique. Les habitants de la région allaient pouvoir vendre leur petite production. C’était bénéfique pour tout le monde», dit-il.

Mahmoud a aujourd’hui créé une réelle économie circulaire. Il se procure les légumes chez les agriculteurs. Les produits tels que l’huile, le fromage, le miel sont également fabriqués localement.

«La région est connue pour le couscous de gland. Ce mets n’est pas très connu et c’est un savoir-faire des vieilles dames de la région, qui s’est perdu avec le temps. Depuis l’ouverture de la maison d’hôtes, on le propose dans notre menu. C’est une manière pour nous de valoriser les activités des femmes», précise-t-il.

La réalisation du projet a pris plusieurs années. Sans budget, l’aménagement du lieu se faisait lentement. Mahmoud commence d’abord par accueillir des randonneurs qui dormaient dans des tentes. Une source de revenus qui lui permettait de subvenir aux besoins de sa famille et d’investir une partie dans son projet. Il s’est également formé pour devenir guide et faire découvrir la région.

Petit à petit, l’écogîte devient un lieu accueillant et proposant des activités pour les visiteurs.

«J’ai très vite compris qu’il fallait développer des activités pour les visiteurs, car on est vraiment coupé du monde. Mais au fil du temps, j’ai compris que les gens justement cherchent ce dépaysement total. J’ai quand même aménagé une bibliothèque et d’autres loisirs seront proposés à l’avenir», précise Mahmoud.

La directrice du centre algérien pour le développement de l’entrepreneuriat social, Meriem Benslama, attire l’attention sur l’importance du tourisme rural dans le développement local des régions montagneuses. «Développer des activités touristiques dans les régions montagneuses garantit une source de revenus importante pour les habitants, et le projet de Mahmoud le prouve amplement. L’entrepreneuriat rural peut devenir un levier économique important pour les communes éloignées de la ville qui souffre d’un taux de chômage important, précise-t-elle.

 

L’ambition d’agrandir face aux contraintes administratives

Si Mahmoud, à travers l’écogîte Aguemmoum, a démontré les retombées positives de son projet sur les habitants de cette région, il reste malheureusement sans statut professionnel. Un handicap pour le développement de son projet.

«L’écogîte commence à se faire connaître et beaucoup de gens des autres wilayas veulent y séjourner. A chaque fois que je reçois un groupe, je le signale à la gendarmerie qui, jusque-là, tolère mon activité. Pour régulariser ma situation, on me demande un acte de propriété, mais ces maisons ne sont même pas cadastrées. J’ai proposé à la mairie de ramener des témoins pour le prouver, mais cette solution n’a pas été acceptée», explique Mahmoud.

Mahmoud souhaite exploiter une partie de la forêt mitoyenne à la maison d’hôte pour en faire un parc animalier et agrandir le terrain du bivouac.

«La nouvelle loi relative aux forêts et au patrimoine forestier ouvre l’investissement dans le domaine sylvicole, seulement elle n’est pas encore en application, donc ma demande a été refusée par la direction des forêts de la région de Sétif.»

Intervenant lors de cette rencontre Karim Hamdi, organisateur de voyage, précise que Mahmoud est son partenaire exclusif dans la région. Il insiste sur la nécessité de permettre à des promoteurs comme lui d’émerger, car ils savent gérer l’information touristique.

«J’ai une expérience de plus de vingt ans dans l’organisation de voyages. Parfois, on fait face à des situations rocambolesques, car les personnes sur le terrain ne détiennent pas l’information touristique qui nous permet d’élaborer un programme touristique.  Avant, il y avait dans chaque région les syndicats d’initiative chargés de collecter et diffuser l’information touristique aux prestataires. Ces syndicats ont été dissous et transformés en associations n’ayant aucune influence sur le terrain», explique-t-il.

Mahmoud, combatif et passionné, conclut en précisant que son projet est né de la générosité de beaucoup de personnes. «C’est un projet participatif. Beaucoup de personnes qui y ont séjourné nous ont aidés à nous développer. Nous avons même eu deux brebis. Mon objectif est de promouvoir le tourisme rural et préserver les richesses naturelles de ma région», conclut-il.