Tebboune et Macron recadrent le débat

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Tebboune et Macron se donnent RDV au mois de juin

PAR MANSOUR M.

L’atmosphère semble enfin s’éclaircir entre Alger et Paris. Après huit mois d’une crise diplomatique d’une rare intensité, les présidents des deux pays affichent une volonté manifeste de renouer le dialogue, en réexaminant plusieurs dossiers majeurs. Cette volonté de relancer les discussions permet de sortir la relation bilatérale du marasme dans lequel elle avait été plongée par le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui a transformé les relations algéro-françaises en un enjeu secondaire autour des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) et de l’expulsion d’influenceurs, reléguant ainsi des questions bien plus stratégiques au second plan.

L’appel téléphonique reçu lundi par le président Tebboune de la part de son homologue français, à l’occasion de l’Aïd El Fitr, illustre non seulement un geste de rapprochement, mais aussi une réponse positive aux récents propos du président de la République. Ce dernier avait en effet affirmé que la résolution de la crise entre Alger et Paris devait impérativement passer par un dialogue direct entre les deux chefs d’Etat ou, à défaut, par leurs ministres des Affaires étrangères, excluant toute autre forme de médiation. Cet échange, qualifié à juste titre d’«approfondi, franc et amical», a permis d’aborder l’état des relations bilatérales et les tensions accumulées ces derniers mois. Il s’inscrit dans une démarche visant à réaffirmer la primauté du dialogue bilatéral direct, tout en insistant sur la nécessité d’une gestion souveraine des relations entre les deux pays.

Cet entretien, loin d’être anodin, marque un changement de ton et témoigne d’un effort manifeste pour remettre les relations sur des bases solides. Le communiqué émanant d’El Mouradia met en avant la nécessité d’un dialogue «égalitaire», un terme particulièrement significatif, qui reflète l’exigence algérienne d’une relation plus équilibrée. Cette approche permet d’aborder des dossiers sensibles en les plaçant au cœur des discussions.

L’épineux dossier de la mémoire

Parmi les dossiers les plus complexes figure sans doute celui de la mémoire. Dans ce contexte, les deux présidents ont convenu de relancer la coopération sur plusieurs fronts. La question mémorielle, toujours aussi délicate, sera à nouveau abordée, notamment avec la reprise des travaux de la commission mixte d’historiens établie par la Déclaration d’Alger d’août 2022. Celle-ci a déjà permis des avancées significatives, telles que la création de la commission et le rapatriement des restes des martyrs de la résistance, tout en portant sur la reconnaissance de la responsabilité de la France dans les assassinats de figures emblématiques comme Ali Boumendjel et Larbi Ben M’hidi.

Le retour à la coopération sécuritaire

En parallèle des discussions sur la mémoire, la question de la coopération sécuritaire a également été un point clé de l’échange. Les deux présidents ont convenu d’un rétablissement immédiat de la coopération dans ce domaine, tout en mettant en relief la solidité des relations, notamment humaines, entre l’Algérie et la France, ainsi que les intérêts stratégiques et sécuritaires communs, imposent un retour à un dialogue équilibré. «Ce dernier est d’autant plus crucial face aux défis et crises qui frappent l’Europe, le bassin méditerranéen et l’Afrique», souligne le communiqué de la présidence de la République, précisant que «les deux pays, en tant que partenaires et acteurs majeurs en Europe et en Afrique, doivent être pleinement engagés en faveur de la légalité internationale et des principes énoncés dans la Charte des Nations unies».

Le dossier migratoire

Sur le dossier migratoire, sujet récurrent de tensions, un dialogue plus fluide et pragmatique a été envisagé. Il semble que la France ait pris conscience que la politique du diktat n’est pas une solution efficace avec Alger. De plus, Bruno Retailleau, qui a joué un rôle central dans l’aggravation de la crise, semble avoir été écarté de la gestion de ce dossier, ce qui pourrait contribuer à apaiser les relations entre les deux pays.

Un virage économique et diplomatique ?

L’échange entre les deux présidents a également abordé la question de la coopération économique. Emmanuel Macron a annoncé le soutien de Paris à la révision de l’accord de partenariat entre l’Algérie et l’Union européenne, un dossier essentiel pour Alger, qui juge cet accord déséquilibré et favorable aux Européens. Sur le plan diplomatique, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, se rendra à Alger le 6 avril prochain pour tenter de concrétiser ces engagements en mesures tangibles, sous peine de voir ce fragile rapprochement se déliter rapidement.

L’entretien s’est conclu par une demande formulée par le président Macron, invitant son homologue Tebboune à accorder un «geste de pardon et d’humanité» en prononçant une grâce en faveur de l’écrivain Boualem Sansal, condamné à 5 ans de prison ferme, «en raison de son âge avancé et de son état de santé».