PAR MANSOUR M.
L’écrivain Mohamed Moulessehoul, plus largement connu sous le pseudonyme de Yasmina Khadra, n’a jamais caché son attachement viscéral à l’Algérie. Son engagement sans faille en faveur de son pays l’a souvent placé en porte-à-faux avec les milieux médiatiques français, qui ont progressivement écarté cette voix dissidente de leurs plateaux. Sa récente tribune publiée jeudi dans «L’Humanité» en est une nouvelle illustration, se déployant en une charge frontale contre les dérives du pouvoir français, qu’il accuse de détourner l’attention de ses propres crises en pointant l’Algérie du doigt. Un chemin que beaucoup d’intellectuels algériens en France préfèrent éviter, tandis que d’autres n’hésitent pas à adopter les postures les plus virulentes envers l’Algérie, en quête d’une tape sur l’épaule ou d’un quelconque prix.
Une France en crise qui cherche un bouc émissaire
Dans cette tribune au ton incisif, Yasmina Khadra dénonce une «misérable fausse manœuvre» du gouvernement français, qu’il accuse d’utiliser l’Algérie comme un exutoire à ses propres échecs. Depuis plusieurs années, la classe politique française, incapable de résoudre ses problèmes internes – qu’il s’agisse des crises économiques, des tensions sociales ou des vagues de contestation -, cherche des dérivatifs pour apaiser l’opinion publique. Dans ce contexte, l’Algérie devient le bouc émissaire idéal.
Les récents discours de figures comme le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui s’en est pris violemment à l’Algérie, illustrent cette tendance. Plutôt que de s’attaquer aux véritables causes des crises françaises, ces politiciens préfèrent raviver les vieilles rancœurs, alimentant une rhétorique hostile à Alger. Mais, comme le souligne Yasmina Khadra, «l’Algérie ne demande rien. Elle se tient droite, sûre de son bon droit».
Une voix algérienne marginalisée en France
Si Yasmina Khadra a toujours défendu l’Algérie avec ferveur, cette position lui a valu d’être ostracisé par les médias français. Contrairement à d’autres intellectuels algériens installés en France, il refuse de se soumettre aux discours convenus qui diabolisent systématiquement l’Algérie et son gouvernement. Cette posture lui a coûté cher. Alors qu’il était autrefois un invité régulier des plateaux de télévision, il est aujourd’hui rarement convié, comme s’il était devenu une voix gênante dans un paysage médiatique où la critique de l’Algérie est devenue un sport national.
Cette marginalisation contraste avec la place accordée à d’autres écrivains d’origine algérienne. Ces derniers, en adoptant des postures ouvertement hostiles à Alger, bénéficient d’un traitement médiatique bienveillant.
Entre silence et complaisance
Bien que d’autres intellectuels algériens, tels que Kaouther Adimi, Magyd Cherfi, Seloua Luste Boulbina, Sabrina Sebaïhi et Karima Dirèche, et même des Français, tels que le mathématicien émérite Cédric Villani, s’élèvent contre la manipulation politique de l’Histoire, dénoncent la stigmatisation des Algériens et des binationaux et appellent à une réconciliation fondée sur la reconnaissance du passé et la construction d’un avenir commun, nombreux sont ceux qui, parmi cette élite algérienne ou franco-algérienne établie en France, choisissent de garder le silence. Qu’il s’agisse d’opportunisme ou de la crainte de voir leur carrière compromise, cette retenue révèle un malaise plus profond, où la critique de l’Algérie, loin d’être perçue comme dérangeante, semble au contraire encouragée.
Ceux qui s’alignent sur cette tendance se voient ouvrir les portes des médias et des institutions culturelles françaises. A l’inverse, ceux qui défendent une vision souverainiste et patriotique de l’Algérie sont accusés de faire preuve de complaisance envers leur gouvernement et sont systématiquement marginalisés. Ce phénomène rappelle tristement les heures sombres du colonialisme, où seuls les indigènes «bien intégrés» avaient droit de cité dans les cercles intellectuels français.
Un débat intellectuel verrouillé par une vision néocoloniale
Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement le traitement réservé à Yasmina Khadra, mais plus largement la manière dont la France continue de vouloir contrôler le récit sur l’Algérie. En favorisant certains intellectuels au détriment d’autres, elle impose une vision unilatérale des relations franco-algériennes, où l’Algérie est systématiquement présentée sous un jour négatif.
Mais, comme le rappelle Khadra, l’Algérie n’a pas besoin de l’approbation de la France pour exister. Forte de son indépendance, de son histoire et de son identité, elle avance sans se soucier des polémiques stériles qui agitent Paris.