Dédollarisation : les Brics aux avant-postes

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Dédollarisation : les Brics aux avant-postes

Le roi dollar, monnaie de référence de la planète, court-il actuellement à sa perte ? S’il est peu aisé d’avancer des anticipations tranchées sur l’hypothèse d’un bouleversement aussi radical de l’ordre du monde, il n’est pas moins évident que la question est aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

PAR R. AKLI

Si l’oncle Sam demeure encore à la fois le premier gendarme et le premier banquier de la planète, sa monnaie, elle, suscite en effet de plus en plus de défiance et n’inspire guère trop de crédit aux yeux de bon nombre de pays.

Une méfiance exacerbée depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine et les sanctions économiques des Américains et leurs alliés contre les Russes, en les privant notamment de leurs réserves placées en dollars et en les bannissant du système de messagerie Swift, passage obligé pour les transactions financières mondiales.

Au-delà de la guerre réelle qui se joue sur le sol ukrainien, l’Amérique aura ainsi lancé sa propre guerre monétaire, visant non seulement Poutine, mais aussi plus indirectement son grand rival chinois, car en passe de la supplanter comme premier leader de l’économie mondiale.

Or, en jouant de leur dollar comme d’une arme économique fatale, les Etats-Unis se sont
pour ainsi dire tiré une petite balle dans le pied, en suscitant non seulement la réaction naturellement hostile de la Russie et ses alliés, mais aussi la méfiance désormais accentuée d’une partie non négligeable de la planète qui, depuis des décennies, commerce et épargne en billets verts.

Si les USA peuvent en effet du jour au lendemain couper les vivres à la Russie en désactivant d’un clic son accès à ses réserves en dollars et à la messagerie
Swift, ne risquent-ils pas de le faire aussi avec d’autres pays en cas de conflit ou de
simples tensions géopolitiques ?

Pétrodollar et pétroyuan

L’argent étant le nerf de la guerre, ce sentiment de méfiance, déjà palpable depuis des années, a vite fait de prendre l’allure d’un vaste mouvement de défiance sonnant l’urgence pour de nombreux pays d’accélérer désormais la dédollarisation du monde.

Dès lors, le pouvoir absolu du roi dollar comme principale monnaie de
réserves et d’échanges dans le monde se voit aussitôt remis en cause ; la Chine prévoyant de payer ses achats de pétrole avec sa propre devise qu’elle adossera à l’étalon or ; la Russie annonçant aussitôt son alignement sur le yuan chinois pour le règlement de ses transactions, alors que les monarchies de l’Opep, l’Arabie Saoudite en chef de file, commencent à envisager pour la première fois l’idée de tourner le dos au système des pétrodollars.

Plus radical encore, le bloc des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), désormais plus riche en PIB combiné que le groupe du G7, passe aux avant-postes de la guerre déclarée contre la dollarisation, en entreprenant déjà de mettre en place un processus de création d’une nouvelle monnaie de réserve adossée à un panier de
devises des 5 pays membres pour détrôner à terme le billet vert.

Redistribution des rôles

Loin des petites guéguerres de monnaies d’antan, où l’on s’adonnait entre forces économiques dominantes à quelques jeux de dévaluations monétaires pour arracher quelques gains de compétitivité, la guerre en présence cible carrément la fin de la dollarisation excessive, parfois même abusive, de l’économie mondiale et, partant, la passage à une autre idée d’ordre mondial promue surtout par le président chinois.

Pour d’aucuns, le géant asiatique qui autrefois sommeillait va sans doute l’emporter, en
mobilisant derrière lui les actuels Brics et la douzaine de pays candidats qui veulent
les rejoindre, à l’instar de l’Indonésie, l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Iran, les
Émirats arabes unis, l’Égypte, mais aussi l’Algérie.

Pour d’autres, la chute de l’oncle Sam, de son dollar, de sa Fed (banque centrale américaine) et de son fameux système de Bretton Woods n’est en tout cas pas pour demain, eu égard à la profondeur du marché financier américain et à l’appétence qu’il suscite chez les investisseurs.

Quoi qu’il en soit, la grande guerre économique est effectivement déclarée et, sans
doute, n’ira-t-elle pas sans induire à terme de grands bouleversements et de vastes
redistributions des rôles sur l’échiquier géopolitique mondial.

R. A.