/L’Institut du monde arabe à Paris se trouve, depuis quelques jours, au cœur d’une polémique qui frappe de plein fouet son directeur. Une lettre ouverte signée par les membres de l’Intelligentsia du Maghreb et du Machrek, reproche à Jack Lang, l’ancien ministre sous différents gouvernements français, la tenue d’une exposition tendancieuse aux «signes explicites de normalisation avec Israël».
C’est du moins ce que rapporte le quotidien français Le Monde dans son édition d’hier. Une polémique à laquelle n’échappe pas Benjamin Stora puisque c’est lui l’organisateur de cette exposition intitulée «Juifs d’Orient» qui se tient à l’IMA depuis le 24 novembre et qui retrace l’histoire plurimillénaire des communautés juives en terre arabo-musulmane. Une exposition qui célèbre l’apport des juifs d’Orient à la culture de cette région, «tout en abordant, à tâtons, les sujets qui fâchent : le départ des juifs du monde arabe, à la suite de la création d’Israël en 1948, et l’expulsion concomitante des Palestiniens, durant la Nakba (leur exil forcé)» écrit Le Monde. Du coup, les signataires d’une pétition qui commence à faire le buzz sur la toile, reprochent à l’IMA de tenter de présenter l’Etat hébreu «comme un Etat normal», alors que des rapports récents signés de diverses organisations, à l’image de celle de défense des droits humains B’Tselem et Human Rights Watch, ont qualifié d’«apartheid» le régime en vigueur en Israël et dans les territoires occupés palestiniens. Ceci d’autant que Jack Lang s’est ouvertement félicité de la normalisation du Maroc avec Israël (interview parue sur un journal marocain en janvier dernier) au moment où une grande majorité de la communauté arabo-musulmane dénonce les accords d’Abraham (la normalisation des Emirats Arabes Unis, le Soudan, Bahreïn et le Maroc avec Israël).
L’IMA tente de se justifier
Mieux encore, la participation d’une chanteuse israélienne d’origine marocaine Neta Elkayam, à un festival de musique organisé par l’IMA, en marge de l’exposition «Juifs d’Orient» a fait réagir le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), qui s’est offusqué de la «parade», alors que les règles de l’IMA proscrivent les contacts avec des Israéliens n’ayant pas pris position publiquement contre l’occupation, l’apartheid, et pour le retour des réfugiés. Le mouvement BDS a appelé les artistes arabes participant à ce festival à s’en retirer.
L’interview donnée à un site Internet juif francophone par le politiste israélien Denis Charbit, à qui Benjamin Stora avait confié la partie contemporaine de l’exposition, est la goutte qui a fait déborder le vase, dans la mesure où le politiste israélien y présente l’exposition comme «le premier fruit des accords d’Abraham», allant même jusqu’à se féliciter que l’IMA ait emprunté des œuvres à deux institutions publiques israéliennes, le Musée d’Israël et l’Institut BenZvi, y voyant «une coopération (…) de très bon augure». Devant l’ampleur prise par les évènements, la direction de l’IMA a fini par publier, dimanche dernier, un communiqué dans lequel il est rapporté que ses détracteurs «méconnaissent l’Institut et ses missions», et du «soutien sans faille de Jack Lang au peuple palestinien et à la paix». Et pour mieux l’illustrer, il est annoncé, pour le 13 janvier 2022, un débat sur les actions culturelles de l’IMA qui publiera, dans quelques semaines, en partenariat avec les éditions du Seuil, un ouvrage qui a pour titre : «Ce que la Palestine apporte au Monde».
Il est utile de rappeler que parmi les signataires de la lettre, certains bénéficient d’une notoriété mondialement reconnue, à l’image de Sidi Bémol, Marcel Khalifa, le romancier libanais Elias Khoury, du cinéaste palestinien Elia Suleiman, du musicien tunisien Anouar Brahem, ou encore de l’universitaire israéloaméricaine, Ella Shohat, née de parents juifs irakiens, auteure d’importants travaux sur les mizrahim (juifs orientaux), et faisant partie d’un groupe de juifs antisionistes qui ont aussi signé la pétition.
B. A.
