Transformation des produits miniers : «L’Algérie peut exporter jusqu’à 30 milliards $», selon Ali-Bey Nasri

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Entretien réalisé par : NABIL M.

Ces dernières années, l’Algérie est passée d’un statut d’importateur de produits sidérurgiques à celui d’exportateur. Peut-on dire qu’on assiste à l’émergence du secteur de la sidérurgie à l’export ?

L’Algérie importait, jusqu’à 2019-2020, pour 5,5 milliards de dollars de produits sidérurgiques pour satisfaire les besoins en matières d’activité du BTPH et autres. Avec les investissements qu’il y a eu et l’arrivée de grandes entreprises comme Tosyali à Oran et Algerian Qatari Steel (AQS) à Jijel, l’Algérie est passée à l’autosuffisance et donc à l’exportation. Ainsi, on a exporté globalement dans les produits sidérurgiques, notamment pour le rond à béton et le fil d’acier l’équivalant de 2,1 milliards de dollars, ce qui veut dire qu’il existe un potentiel qu’il faut exploiter. Mais il faudra aussi développer d’autres produits en ajoutant de la valeur ajoutée. Actuellement, on ne produit pas encore les aciers plats, les aciers élaborés. Le rond à béton qu’on exporte actuellement n’est pas un produit fini, ce qui nous pousse à aller vers la valorisation qui passe par l’investissement, notamment avec le nouveau code de l’investissement qui offre beaucoup d’avantages et d’opportunités pour les investisseurs.

Peut-on dire qu’aujourd’hui l’Etat a mis les moyens pour encourager les exportations dans plusieurs secteurs, bien qu’il existe encore des manques sur la chaîne de l’opération d’export ?

Actuellement, les pouvoirs publics, notamment à travers le président de la République, ont mis en place un dispositif d’aide à l’exportation. Ainsi, la Safex a installé deux succursales en Mauritanie et au Sénégal. Des instructions ont été aussi données pour installer des banques, ce qui a permis à l’Algérie d’avoir pour la première fois des banques à l’étranger. Donc, c’est les outils qui nous manquaient, malgré que ce ne soit pas encore suffisant, c’est encourageant. Avoir une banque à l’étranger, cela veut dire un portefeuille clients prêt à l’import et à l’export, assurer le transfert de l’argent et aussi donner de la confiance dans les échanges économiques entre les opérateurs algériens et ceux de ces pays. Pour la deuxième étape de ces mesures, il s’agit d’assurer l’acheminement des produits vers leurs destinations. Nous avons un problème de logistique qui est en train de se régler, avec l’acquisition prochaine de 13 navires, car le souci actuel est la rupture de la chaîne de transport, avec des délais très longs qui entraînent des coûts supplémentaires et diminuent la compétitivité. Je pense que la Cnan va mettre des navires à destination de Nouakchott et de Dakar, et pourquoi pas sur Abidjan, parce que la Côte d’Ivoire est un pays important et très intéressant économiquement.

Ajoutons à cela l’installation des cinq zones franches, vis-à-vis de la Mauritanie, du Mali, du Niger, de la Libye et de la Tunisie. Cela veut dire que nous aurons des zones d’échange économiques à nos portes, ce qui va rapprocher les produits des pays demandeurs.

Comment l’Algérie pourra-t-elle renforcer ses exportations et aller vers d’autres marchés dans le secteur de la sidérurgie notamment, et augmenter ainsi ses exportations hors hydrocarbures ?

A mon avis, l’acte stratégique pour l’Algérie, c’est l’investissement. Quand on examine l’évolution des exportations, nous constatons qu’il y a un rapport direct avec les investissements. En 2007, il y a eu un partenariat entre Fertial et Fertiberia Espagne, ce qui a permis à l’exportation d’engrais de passer de 48 millions de dollars à 250 millions de dollars. Deuxième investissement, Cevital en 2010, on a exporté du sucre en 2022 pour 359 millions de dollars. Troisième investissement, c’était Sorfert avec Sonatrach, ce qui a fait passer les exportations d’ammoniac et d’urée à 1,2 milliard de dollars. Après en 2017, il y a eu Tosyali et AQS qui ont permis à l’Algérie de se transformer en exportateur, après qu’elle était dans l’import. Il y a aussi la société mixte algéro-omanaise pour les engrais (AOA), qui fait dans les fertilisants, dont l’investissement a permis de faire passer les
exportations de 48 millions de dollars à plus de 3 milliards. Donc c’est l’investissement qui a permis l’augmentation des exportations.

Comment l’Algérie pourra-t-elle mieux exploiter ses richesses minières et devenir un acteur important dans ce secteur au niveau régional et mondial ?

Actuellement, il y a un manque de diversification dans la transformation des produits miniers. Ce n’est pas normal que l’Algérie exporte du phosphate à l’état brut, car l’objectif du secteur, c’est la valorisation de nos matières premières, du fait que nous sommes dans une intégration totale. La valorisation de nos matières premières est un axe stratégique de l’investissement lui-même. Aujourd’hui, nous exportons deux millions de tonnes de phosphate avec des prévisions de 10 millions de tonnes d’ici 2030, ce qui veut dire que, d’ores et déjà, il faut réfléchir à l’investissement dans la transformation du phosphate. L’Algérie importe trois produits dérivés du phosphate : le DAP, l’acide phosphorique pour l’industrie et le phosphate destiné à l’agriculture. Ainsi, la valeur ajoutée à travers la transformation de cette matière augmentera à 500% sa valeur, ce qui va réduire l’importation, car la moyenne d’importation sur ces trois produits est de 700 jusqu’à 800 millions de dollars. La moyenne régionale des exportations au niveau du Maghreb est de 12 milliards de dollars, ce qui nous oblige à valoriser notre phosphate. Le deuxième produit qui va économiser l’importation, c’est les dérivés de la pétrochimie. L’Algérie importe l’équivalant de 2 milliards de dollars de ces dérivés, alors que nous avons la matière première qui, en la transformant, verra sa valeur se multiplier par 10. L’Algérie a été par le passé pionnière dans l’industrie pétrochimique et pourrait le redevenir si on arrive à développer l’industrie de la transformation. Avec le potentiel existant dans les ressources minières, l’Algérie pourra exporter la valeur de 30 milliards de dollars, selon plusieurs experts. Il ne faut pas oublier que l’exportation, c’est une vision à long terme. On n’investit pas sur un passif, mais plutôt pour le futur. Il faut voir si les produits sur lesquels on investit actuellement ne vont pas disparaître dans l’avenir.

N. M.