Filière des viandes rouges : La cour des comptes pointe les raisons de la dérégulation

0
5485
Filière des viandes rouges : La cour des comptes pointe les raisons de la dérégulation

PAR R. AKLI

Le programme public portant restructuration, développement et régulation de la filière et du marché des viandes rouges, mené à terme à fin 2022, n’a pas atteint ses objectifs stratégiques, selon les constats dressés par la cour des comptes à travers son rapport annuel pour l’année 2023, rendu public hier sur son site officiel.

Conçu notamment pour favoriser un développement intégré de l’amont et de l’aval de la filière des viandes rouges, ce programme, rappelle l’organe de contrôle, a été mis en place en 2010 et porte sur « la restructuration du portefeuille du secteur public de la filière des viandes rouges, en créant une nouvelle entreprise dénommée Algérienne des viandes rouges (Alviar) ; le renforcement de ses capacités financières par l’assainissement financier des quatre filiales qui lui sont rattachées ainsi que la mise en œuvre d’un plan d’investissement pour la réhabilitation et la mise à niveau de certaines infrastructures existantes et la réalisation de trois complexes régionaux de viande rouge (CRVR) ».

Or, souligne le rapport, les travaux d’audit menés par la cour font apparaître que si dans ses volets relatifs à la restructuration de la filière, « le programme a été quasiment mené à terme à fin 2022, il n’en demeure pas moins que les objectifs stratégiques qui lui sont assignés, à savoir le développement intégré de l’amont et de l’aval de la production des viandes rouges, la régulation du marché et le renforcement du contrôle sanitaire, ne sont pas atteints ».

La cour précise en ce sens que « faute d’une mise en œuvre d’un plan de développement de l’élevage, l’effectif du cheptel détenu par Alviar tout au long des années 2010 à 2021 n’a pas dépassé 5 à 6% des prévisions arrêtées ». En aval, ajoute la même institution, « les prestations d’abattage réalisées depuis la mise en exploitation des nouvelles infrastructures, représentées notamment par les trois CRVR, traduisent un taux d’utilisation des capacités d’abattage inférieur à 2% sur la période allant de 2016 à 2021 ».

Difficultés paralysantes

Aussi, est-il noté, « actuellement, le secteur public de la filière des viandes rouges, représenté par Alviar et ses démembrements, est marqué par des difficultés paralysantes et une faible performance, remettant en cause la viabilité économique de ce programme ». Détaillant la consistance de la filière des viandes rouges (bovin, ovin, caprin et camelin), la même institution souligne qu’en 2021, celle-ci a réalisé un chiffre d’affaires de près de 700 milliards DA (à raison de 1300 DA/kg), ce qui équivaut à près de 5 milliards de dollars, représentant plus de 17% du chiffre d’affaires du secteur agricole.

La production de cette filière, est-il relevé, « a atteint près de 537.000 t (63% de viande ovine, 27% bovine, 7% caprine et 3% cameline), ce qui assure une disponibilité moyenne de 12,04 kg/habitant/an (pour 44.599.222 habitants), la moyenne internationale étant de 34 kg/habitant/an ». Dans ce contexte, le rapport évoque plusieurs facteurs justifiant l’inefficience dudit programme public de régulation de cette filière, dont entre autres « la faiblesse des capacités managériales », « la gestion administrative inappropriée des processus économiques » et le fait que « les autorisations d’importation des viandes rouges n’ont que rarement profité à Alviar depuis sa création en 2010 ».

De même, la cour fait état d’un « faible exercice de l’autorité vétérinaire, illustré par l’abattage non contrôlé qui dépasse les 70%, et qui a pour corollaire, entre autres, le non-paiement de la taxe d’abattage d’un montant de 10 DA par kilo de viande, ainsi que l’abattage de la femelle (antenaise, agnelle) dont le prix de vente sur le marché est bien
inférieur à celui de l’antenais et de l’agneau ». Cet état de fait, est-il expliqué, « crée une distorsion du marché au désavantage d’Alviar qui peut aller jusqu’à une majoration, le cas échéant, de son offre financière de 10 à 20% ».

Dans cet ordre d’idées, la cour des comptes relève que le marché de vente des bêtes sur pied est « très peu réglementé et encadré administrativement ». L’offre, observe-t-elle, « provient essentiellement des éleveurs, des maquignons, des importateurs et d’une multitude d’intervenants saisonniers et/ou occasionnels (qui s’improvisent éleveurs ou revendeurs)… ».

Aussi, ajoute-t-elle, « clients et fournisseurs agissent en rangs dispersés sur un marché dénué de toute traçabilité et sans garantie de la qualité et de l’état de santé de l’animal ». Pour y remédier, la cour recommande notamment la mise en place « d’un plan de développement de la production fourragère adossé à un plan de mobilisation des ressources hydriques comme mesures préalables pour une maîtrise de l’élevage bovin et ovin », ainsi que la mise en place « d’un système d’information statistiques fiable et le renforcement des mécanismes de contrôle de la perception de la taxe sanitaire sur les viandes (taxe d’abattage) ».

Des recommandations auxquelles s’ajoutent celles du président-directeur général d’Alviar,
insérées dans le même rapport, et qui préconise entre autres de « lier l’octroi aux éleveurs de l’aliment subventionné à la conclusion de conventions commerciales avec Alviar », ainsi qu’un « assainissement financier des fermes pilotes rattachées à l’entreprise ».

R. A