Lutte contre l’informel : Faut-il changer les billets de banque ?

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Lutte contre l'informel Faut-il changer les billets de banque

Par: R. AKLI

La question d’un possible recours à une solution extrême de changement de billets de banque pour juguler l’informel refait régulièrement surface dans le
débat national ces quelques derniers mois.

Elle n’est pourtant clairement pas à l’ordre du jour de l’autorité publique qui, tout en
affichant une forte volonté de sévir contre l’économie souterraine, n’envisage néanmoins pas d’aller vers des solutions aussi radicales qu’un retrait rapide et total des billets actuellement en circulation.

Du moins, pas dans l’immédiat.

Ce n’est pas le procédé « idéal », avait en effet fait comprendre le chef de l’État lors d’une
entrevue avec des représentants de médias nationaux en avril 2021.

Un changement de billets, avait-il expliqué, serait « sans résultat » et ne ferait que provoquer « de longues files de citoyens modestes devant les banques et non d’hommes d’affaires venant échanger des montants à coups de milliards ».

Pour autant, la question divise toujours… Pour certains, ce n’est ni plus ni moins
qu’une fausse bonne idée, toute vouée à finir dans l’indifférence.

Sellami : «Sans changement de billets, l’argent de l’informel restera dans l’informel»

Pour d’autres en revanche, aussi extrême puisse-t-elle être, une telle option serait le seul
remède efficace aux maux de l’informel qui continue de ronger l’économie nationale depuis déjà plusieurs décennies.

« Sans changement de billets de banque, l’argent de l’informel restera dans l’informel », a tranché en ce sens le président de l’Association des conseillers fiscaux algériens,
Boubekeur Sellami, lors de son passage hier à l’émission « Invité de la rédaction » de la radio nationale.

Selon lui, les différents dispositifs proposés par l’État n’ayant pas suffi à inciter les détenteurs de fonds hors banques à bancariser leurs avoirs, il ne reste donc
qu’à procéder au changement des billets en circulation pour y remédier.

Kaoubi : «Il faut éviter de créer de l’instabilité»

Sauf que, nous expliquent certains responsables d’institutions bancaires locales, un changement total et brutal des billets de banque n’est pas si simple à faire et, surtout, il n’offre aucune garantie de résultats quant à résorber réellement l’argent de
l’informel.

« Trop d’intérêt en jeu et trop de monde concerné, ce qui rend une telle opération très peu
faisable », estiment en ce sens nos interlocuteurs, en ajoutant que même dans le cas où elle se réaliserait, rien ne garantit que l’argent déposé dans les banques puisse réellement y rester une fois finalisée cette démarche.

Du reste, soutiennent-ils, l’hôtel des monnaies relevant de la Banque d’Algérie ne dispose pas, dans sa situation actuelle, de moyens nécessaires pour mener à bien une telle opération dans des délais très courts, sachant qu’un éventuel changement de billets
voudrait dire fixer une date butoir pour retirer les coupures existantes et les remplacer rapidement par d’autres.

Un avis que soutient également Mahfoud Kaoubi, analyste en économie et finances, en soulignant qu’il y a eu déjà un précédent en Algérie avec une opération de retrait d’un seul
billet de banque menée dans les années 1980 et qui avait donné lieu à de graves perturbations.

La logique, a-t-il avancé, est qu’un éventuel changement de coupures d’argent s’effectue auprès des guichets de la Banque d’Algérie. Or, a-t-il ajouté, « cette dernière dispose-t-elle réellement d’un réseau de guichets suffisant pour pouvoir faire face à une opération massive de changements de billets ? ».

Aussi, selon lui, « il faut absolument éviter de créer de l’instabilité, car la monnaie
qui porte le sceau de la banque centrale est un élément de souveraineté et une créance
sur l’économie et l’Etat ».

De plus, prévient-il, un éventuel changement de billets de banque ne ferait qu’alimenter les réticences des opérateurs et des investisseurs, sans permettre réellement de résorber l’informel, vu que cela susciterait sans doute un recours des détenteurs de fonds à l’achat de devises fortes pour préserver la valeur de leurs avoirs.

Une lutte rationnelle contre l’économie parallèle, conclut en définitive notre interlocuteur, ne peut passer que par une réelle inclusion financière, une véritable modernisation des banques et des incitations fiscales, telles que des baisses de TVA pour encourager le recours aux transactions électroniques.

R. A.