«Palabres Algéroises», un ouvrage qui pose un regard original sur l’architecture

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Auteurs du livre "Palabres Algéroises"

«Palabres Algéroises ; conversation sur l’architecture» est le dernier ouvrage édité chez les éditions Barzakh. Co-écrit par l’architecte Larbi Merhoum et l’enseignant en architecture Habib Benkoula, ce livre est singulier de par sa forme et son contenu.

Né de manière impromptue, il est le fruit de longues discussions entre deux amis qui abordent l’architecture algéroise dans sa complexité. Un récit sincère qui dévoile l’histoire et la mémoire de la pierre.

Habib Benkoula sachant poser des questions, et Mohamed Larbi Merhoum tentant d’y répondre avec justesse, le livre est semblable à un long entretien sur des questions à la fois philosophiques et stratégiques autour de l’architecture en Algérie.

«En 2016, on a eu l’occasion avec Larbi de passer une soirée à Alger où on a parlé de mixité sociale. La discussion était tellement stimulante que je savais qu’il y avait quelque chose à en tirer. Larbi est un architecte penseur, car il sait mettre des mots sur ses pensées. Cette discussion a duré 8 mois avant que je ne lui demande de s’engager dans un long entretien sur différentes thématiques», revient Habib Benkoula sur la genèse de ce projet littéraire.

Il ne faut pas se méprendre, il ne s’agit pas d’un portrait de Larbi Merhoum met en garde Habib Benkoula. Ce dernier pose les questions et participe aux débats en livrant ses réflexions et appréciations. De manière sommaire ils évoquent tous l’environnement de la pratique du métier d’architecte. L’ordre d’idées est parfois anarchique mais ses structures autour de grandes thématiques, notamment l’enseignement de l’architecture, la relation entre urbanisme et architecture, les ambitions des architectes face aux aberrations administratives, etc.

 Psychanalyser le métier d’architecte

Habib Benkoula confie que les questions posées à Larbi Merhoum avaient pour objectif de trouver des réponses aux questionnements qu’il se posait en tant qu’enseignants. Le récit devient alors un état des lieux qu’une pratique qui a connu bien des péripéties.

Larbi Merhoum rappelle qu’il fait partie de cette génération qui a entamé sa carrière avec l’arrivée de l’architecture libérale. Il fallait donc faire de l’architecture mais légitimer le métier Larbi Merhoum rappelle qu’il fait partie de cette génération qui a entamé sa carrière avec l’arrivée de l’architecture libérale. Il fallait donc faire de l’architecture mais légitimer le métier.

«On a entamé notre vie professionnelle en insistant sur le fait qu’il fallait définir tout d’abord le territoire de l’architecte et de l’architecture dans un environnement général même s’il n’y avait pas encore d’agrément», confie Larbi Merhoum.

Dans le livre, Larbi Merhoum revient sur la promulgation du statut de l’architecte libéral qui signe son propre projet et qui n’a existé officiellement que depuis 1995. Cette évolution implique pour les architectes de sa génération de parler d’architecture avec des mots d’architectes.

«Nos aînés sont partis sans laisser beaucoup de manifestes. Notre génération est la première à commencer à écrire. Je me souviens, dans mes débuts, nous avons présenté un projet du côté des fusillés devant un parterre de professionnels. Nous avons écrit un texte manifeste, en disant plus qu’un projet d’architecture c’est un projet d’une architecture qui nous intéresse. Déclamant ainsi une position d’architecte était une première dans la profession. Ce recours au discours et au débat public sur l’architecture traduit une volonté de justifier son existence», se souvient-il.

 

Qu’en est-il de l’enseignement ?

Faire le point sur l’architecture, c’est aussi revenir aux prémices de ce métier, à savoir son enseignement. Les deux coauteurs ne manquent pas de livrer leur désarroi quant à la formation des architectes en Algérie.

«Lors du premier cours à l’Epau ou ailleurs, les enseignants vont présenter aux étudiants un projet de Zaha Hadid et vont leur dire c’est ça l’architecture. C’est de l’impuissance programmée. À la sortie de la fac, ces futurs architectes vont passer les trois quarts de leur carrière à faire du logement, des écoles, des commissariats, et rêver, désespérément, de faire un jour un aéroport ou une tour multifonctionnelle. Il faut introduire des éléments de contextualisation qui vont leur permettre de voir en quoi ils seront utiles», insiste Larbi Merhoum.

L’architecte seul n’existe pas. Il est à l’intersection d’un certain nombre de choses qui sont de l’ordre de la politique, du social, l’économie, la gouvernance, etc. Le futur architecte doit composer avec tous ces éléments pour pratiquer ce métier, décrit Larbi Merhoum.

Selon ce dernier, il y a eu un changement de paradigme. Il se souvient que dans les années 70 dessiner du logement était la solution pour fabriquer le confort de l’Algérien moderne. Il y avait des sujets brillamment réfléchis et dessinés. Mais c’est dernière année, c’est devenu une corvée pour tous les acteurs qui sont impliqués dans le processus de loger l’Algérien.

Larbi Merhoum écrit : «Je ne rêvais plus d’être un Meier et encore moins une Hadid.» Il conseille aux enseignants de changer d’espace référentiel, et de montrer aux étudiants des projets d’Alvaro Siza, qui a commencé à être connu avec du parpaing, de la menuiserie et du carrelage mal posé, et qui a par la suite signé ses plus belles lettres de noblesse avec de petites maisons.

«Cet architecte a la reconnaissance mondiale, et ses œuvres notamment des immeubles ressemblent à ce que l’architecte algérien voit dans son environnement. Ça changerait complètement l’approche de l’enseignement de l’architecture», souligne l’architecte.

 

Comment construire ?

Pour Larbi Merhoum, il faut sortir de cette démarche d’aide à la personne. Selon lui, ça a mené à démonter les savoir-faire constructifs. Il insiste sur la nécessité de faire des logements qui fabriquent de l’économie et non pas des logements économiques qui ne coûtent pas cher.

«Faut construire des logements qui permettent aux architectes, ingénieurs de vivre correctement et à l’entreprise du logement de se développer. Le logement doit être un moteur de l’économie. Les modalités de solidarité ne doivent pas se faire au détriment de la qualité du logement, car la qualité architecturale est une exigence démocratique et citoyenne», souligne-t-il.

Cette conversation autour de l’architecture, longue de 200 pages, apporte un éclairage sur l’architecture algérienne. Une lecture nécessaire pour un professionnel et savoureuses pour, nous autres, profanes. Les échanges entre Larbi Merhoum et Habib Benkou sont marqués par une grande culture et des anecdotes tels des marqueurs dans l’espace et l’histoire d’Alger.