Reportage : Amira et Feirouz, deux agricultrices racontent leur réussite dans la filière bio

0
719
Amira et Feirouz filière bio

Envisager une carrière dans un métier lié à l’agriculture est rarement un choix de carrière évident pour les jeunes. Un métier rude aux revenus moyens qui découragerait plus d’un. Mais lorsque ce chemin est entrepris par conviction, l’épanouissement est au rendez-vous, estiment Amira et Feirouz, deux jeunes femmes à la tête d’une exploitation d’agriculture biologique. Avec la marque Biosphère, elles sont les ambassadrices d’une alimentation saine et équilibrée.

Dans une exploitation de 7 ha dans la banlieue de Douaouda, les deux jeunes femmes déploient leur savoir-faire sur 1300 m2. Cette parcelle de terre leur a été cédée par le concessionnaire de cette exploitation qu’elles appellent affectueusement âmi Achour.

D’emblée, elles confient qu’ils sont tous de fervents défenseurs de l’agriculture durable. Avant d’entamer la visite, il est important de comprendre le principe de l’agriculture durable.

«Le travail de la terre se fait selon des normes respectueuses de l’environnement ; nous utilisons des semences paysannes, nous fabriquons notre propre compost et même des pesticides naturels. Les plantations sont irriguées grâce à l’eau du puits. Aucun produit chimique n’est utilisé», détaillent les deux agricultrices.

L’exploitation se trouve au bord d’une route à double voix. De l’extérieur, on imagine difficilement l’existence d’un tel endroit. En arrivant, on est accueilli par une cacophonie peu habituelle des exploitations agricoles. Les bruits assourdissants des tracteurs, l’aboiement du chien de garde, des discussions qui s’animent entre les ouvriers. Les deux jeunes femmes confient que même si chacun a sa plantation, l’entraide est omniprésente.

La canicule qui a tout détruit

En faisant le tour du propriétaire, on comprend que les deux jeunes femmes sont connues de tous ici. Arrivé sur la plantation, on découvre les différentes productions maraîchères. Fraise, laitue, tomate, poivron, oignon et bien d’autres produits. Depuis peu, Amira et Feirouz ont installé deux serres où sont plantées des tomates cerises.

«Chaque jour, nous venons vérifier la plantation. Le jeudi, nous faisons la cueillette et le vendredi, nous vendons nos produits au marché paysan de la ferme pédagogique de Zéralda. Dans l’après-midi, nous livrons nos paniers aux clients. À la maison, nous faisons également de la transformation. C’est sans répit,  mais aujourd’hui, nous avons une clientèle fidèle et c’est gratifiant», décrivent-elles leur semaine.

Amira et Feirouz confient que depuis 5 ans, elles travaillent d’arrache-pied pour stabiliser leur activité. En septembre, elles ont failli jeter l’éponge après la canicule de l’été dernier qui a brûlé une grande partie de la plantation. «Le réchauffement climatique nous impacte directement. C’était impressionnant de voir l’état des poivrons après les journées caniculaires de l’été dernier. Des légumes étaient complètement carbonisés. On n’avait presque rien à vendre. On s’est donné une dernière chance, et heureusement que la terre a été généreuse avec nous», se félicitent les deux agricultrices.

Au milieu de la plantation, sous un soleil de plomb, Amira et Feirouz vérifient les légumes, le sol, nettoient sur leur passage, goûtent et s’inquiètent de l’invasion des escargots qui ont ravagé un plant de fèves et de fraises. Elles n’hésitent pas à se salir les mains. Pourtant c’est un métier qu’elles ont découvert bien après leurs études.

La rudesse du maraîcher

Les deux jeunes femmes sont diplômées de l’USTHB à Alger, elles sont titulaires d’un master en biodiversité et écologie végétale. Après l’obtention de leur diplôme, elles souhaitaient travailler dans le domaine forestier, mais vite, elles se rendent compte qu’il est difficile d’accéder à des métiers dans ce domaine.

À la fac, elles entendent parler du collectif Torba. Amira est conquise par leur engagement mais ne les contactera que plus tard. «On a eu énormément de soutien de la part du collectif. Avant d’adhérer en tant que membres, nous avons été formées à la permaculture. On nous a appris toutes les bases de l’agriculture biologique. Et quand nous avons décidé de nous lancer, ils nous ont mises en garde contre les difficultés. Nous savions dès le départ que rien n’allait être simple», se souviennent-elles, reconnaissantes.

C’est au collectif Torba qu’Amira et Feirouz ont rencontré Achour Mohamed. Séduit par leur détermination, il leur cède généreusement le bout de terrain et les accompagne depuis 5 ans dans le développement de leur activité.

«Lorsqu’on décide de nous lancer dans l’agriculture biologique, la terre doit être inutilisée pendant au moins trois ans. Une chance pour nous que le terrain soit en jachère, car c’était une préoccupation en moins.»

En 2020 avec 30.000 DA chacune, elles s’achètent les outils nécessaires pour le travail de la terre : râteaux, brouette, crochets, arrosoirs, etc. Elles entament ensuite le travail du sol sans mécanisation. A la main, elles désherbent les racines de chiendent, une mauvaise herbe qui consomme inutilement les nutriments de la terre. Elles procèdent ensuite au montage des planches de culture et la semence.

«La préparation de la terre nous a pris 4 mois. C’était harassant et ça aurait pu nous décourager, car c’est possible de le faire avec les tracteurs. Disposer de moyens dans notre domaine est important pour continuer. Aujourd’hui, nous avons un ouvrier, ce qui nous permet de nous consacrer à d’autres missions comme la mise en place d’une stratégie pour la vente de nos produits», expliquent-elles.

Pendant deux ans, Amira et Feirouz vont planter toutes sortes de fruits et légumes. Elles se heurtent au défi de l’agriculture : l’invasion des pesticides, les semences qui ne tiennent pas, l’impact des perturbations climatiques, mais le réconfort est que tout se vend. Chaque vendredi, elles installent une table dans le marché paysan de la ferme pédagogique de Zéralda où elles vendent leurs fruits et légumes bio à une clientèle toujours au rendez-vous.

Après la première récolte, Amira et Feirouz y voient plus clair. Elles souhaitent investir davantage le marché bio en Algérie et elles commencent par donner un nom à leur activité. Biosphère arrive avec beaucoup d’ambition, la transformation de leurs produits, et la création de leur panier.

«Malgré les difficultés et le manque de moyens, on essaie de lancer des nouveautés à la fois pour nous challenger, gagner des clients et surtout participer à la promotion de l’agriculture biologique. C’est pour cela que nous avons vite lancé nos paniers. Nous livrons vendredi entre 15 et 20 paniers. La demande est bien présente, mais on préfère évoluer doucement», soulignent-elles.

En plus de l’agriculture, Amira et Feirouz valorisent les produits qui ne se vendent pas grâce à la transformation. Elles font du pesto, coulis de tomates, des épices, la hrissa, des confitures et bien d’autres.

 Partenariats et économie circulaire

Les deux jeunes femmes confient que la concurrence est bien présente et elle n’est pas toujours loyale. En lançant leurs paniers de produits bio, elles savent pertinemment que c’est un challenge : pour que ça se vende, il faut que ça soit bien garni. Mais il est difficile pour elles d’avoir de nouvelles tâches. Elles décident alors d’aller à la rencontre d’autres agriculteurs et de sceller des partenariats.

«On ne peut pas tout planter et on veut diversifier, c’est le dilemme auquel nous avons fait face avant de décider de travailler avec les agriculteurs dans les régions montagneuses. D’une part, ça nous aide à compléter notre panier et eux peuvent écouler leur marchandise facilement. Par exemple, les épinards se cultivent dans un environnement froid, donc on les trouve chez les agriculteurs en montagne, notamment à Mouzaïa. Mais avant de nous procurer les produits, on va à la rencontre de ces agriculteurs afin de nous assurer qu’il s’agit bien d’une agriculture biologique.»

Les deux jeunes femmes sous-traitent également la transformation, notamment l’ail séché et certaines épices. «Nous travaillons avec une femme dans le milieu rural. On lui amène notre ail, elle le sèche et le moud selon les techniques traditionnelles», informent-elles. Elles racontent que ces rencontres permettent de s’organiser entre agriculteurs biologiques et mettre en place une économie circulaire.

Les deux jeunes femmes parviennent à surmonter les difficultés et s’épanouir, car elles estiment que c’est par passion et conviction qu’elles pratiquent leur métier. Elles espèrent que des aides seront mises en place pour accompagner la transition vers un système alimentaire durable en Algérie. En attendant, elles sont déterminées à faire valoir les produits issus de l’agriculture biologique.