Abdelmadjid Attar à L’Algérie Aujourd’hui : «Le consensus au sein du Gecf est capital»

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Abdelmadjid Attar, expert en pétrole et gaz, ex-ministre de l’énergie et ancien PDG de Sonatrach, nous livre à travers cet entretien son analyse au sujet de la portée des engagements pris avanthier par les dirigeants du forum des pays exportateurs de gaz (Gecf), à travers leur déclaration finale, adoptée à l’issue du sommet d’Alger.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR R. AKLI

La déclaration finale du sommet du forum des pays exportateurs de gaz, qui s’est tenu avant-hier à Alger, a mis l’accent sur la nécessité de développer les investissements dans la production gazière comme source d’énergie propre et indispensable. Comment analysez vous cette orientation ?

La recommandation du Gecf est plus que pertinente au regard de la place du gaz naturel dans la consommation énergétique mondiale finale dans deux secteurs importants : la production d’électricité d’abord, et dont les besoins à l’échelle mondiale ne pourront jamais être couverts par les EnR, ou même toutes les autres sources d’énergie, et bien sûr la place du gaz dans de nombreuses activités industrielles, aussi bien en tant que source d’énergie que matière première. Par conséquent et au regard des réserves actuelles et des capacités de production et d’échange, notamment par GNL, sans nouveaux investissements pour aussi bien accroître les réserves mais aussi maintenir et augmenter les capacités de production, le monde aura de sérieux problèmes de sécurité énergétique un peu partout.

Les tensions sur l’offre énergétique mondiale sont-elles appelées à prendre de l’ampleur à plus ou moins court terme ?

J’ai remarqué par exemple que le Gecf, dans la présentation de son rapport annuel 2023, prévoit la chute de la part des productions de gaz à partir des réserves conventionnelles actuelles en production de 70% en 2022 à 42% en 2030 puis 19% en 2050. En parallèle, il prévoit qu’il faudra répondre au besoin mondial en 2050 avec une production nouvelle de 2477 milliards m3 (44%) provenant de réserves en gaz conventionnel à développer.

Mais le Gecf n’a pas précisé s’il s’agit de réserves connues ou à découvrir. Il faudra toujours selon le forum une autre production supplémentaire à cet horizon de 2140 milliards m3 en gaz non conventionnel en plus de ce qui est produit actuellement, le tout pour arriver à subvenir à une demande qui est évaluée à 5360 milliards m3 en 2050. Il s’agit bien sûr du scénario du Gecf, car d’autres scénarios sont en ce moment envisagés en fonction des politiques de transition énergétique, mais dans tous les cas de figure, la prévision du Gecf d’un besoin d’investissement de 9000 milliards de dollars, dont 8200 pour l’amont (exploration & production), est à prendre au sérieux.

La déclaration d’Alger évoque également la nécessité de favoriser les contrats gaziers à long terme et l’indexation des prix du gaz sur ceux du pétrole pour sécuriser davantage les approvisionnements énergétiques. Quels en sont les enjeux ?

Les enjeux sont énormes, car il s’agit en premier lieu de savoir qui doit investir les montants colossaux pour répondre aux besoins énergétiques futurs, les producteurs ou les acheteurs ? Ou alors les deux ? La crise énergétique de 2021 est en grande partie due à la chute continue des investissements depuis la chute du baril en 2014, et c’est ce qui a affecté la disponibilité des réserves et les capacités de production. La reprise économique après la pandémie de 2020 a mis en évidence la situation à laquelle le monde est arrivé, avec en plus des politiques et des programmes de transition énergétique dont les capacités en EnR ne pouvaient pas répondre aux besoins, sans compter les impacts de la guerre russo-ukrainienne qui ont subitement modifié les routes des échanges énergétiques.

Les besoins énergétiques actuels sont des besoins en matière de capacités de production, et par conséquent des besoins en investissements. Ces derniers ne peuvent être consentis que s’il y a des contrats à long terme assurant la rentabilité des futures productions, et un prix du MMBtu qui ne peut être stable à moyen terme que s’il est indexé sur une ressource énergétique proche et stable pour le moment aussi à cause de sa place dans la sécurité énergétique. C’est le pétrole et les produits pétroliers en général.

Cela n’arrange pas toujours les acheteurs qui veulent garder à leur niveau le plus de possibilités de manœuvre sur les marchés. Et c’est pour cela que la cohésion est nécessaire, aussi bien au niveau  de l’Opep+ que du Gecf.

Quelles implications le consensus entre les pays exportateurs du gaz peut-il avoir sur la conjoncture énergétique actuelle, marquée surtout par un impact accru des tensions géopolitiques ?

Ce consensus est capital au sein du Gecf et vis-à-vis des acheteurs, car la véritable guerre tourne autour du contrôle des ressources (réserves et capacités de production, des routes des échanges (gazoducs et GNL) et des marchés (prix). Toutes les tensions géopolitiques actuelles et les conflits qui en résultent ou en résulteront dans le futur ont une origine énergétique ou finissent par impacter de façon importante la scène énergétique. La sécurité
énergétique est aujourd’hui au cœur de toutes les politiques et stratégies de développement, et même des alliances géopolitiques qui se tissent. Quand un groupe de pays composant le Gecf contrôle 70% des réserves mondiales de gaz et un peu plus de 40% de sa production, avec en face d’autres groupes de pays ou d’alliances qui dépendent de cette ressource, avec en plus une répartition géographique de cette dernière qui est ce qu’elle est aujourd’hui, il y a tout intérêt à faire preuve de cohésion. Il faut bien sûr aussi que cette cohésion puisse être au service du développement de toute l’humanité, de la disponibilité de l’énergie à un prix juste et raisonnable, et que le gaz naturel puisse être réellement un soutien à une transition énergétique dont le monde a aussi besoin, et en un mot un monde avec moins de catastrophes climatiques.

R. A.