Brahim Guendouzi, économiste, spécialiste en commerce international : «L’accord d’association avec l’UE doit concerner toutes les clauses»

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L’ALGÉRIE et l’union européenne (UE) comptent désormais ouvrir une nouvelle page dans leurs relations de coopération économique, en œuvrant surtout à réévaluer l’accord d’association qui les lie depuis près de vingt ans, de sorte à favoriser davantage l’investissement. « Une nouvelle coopération autour de l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie, avec un accent mis sur les investissements directs européens, sera lancée » prochainement, avait en effet affirmé récemment le chef de mission adjoint de la délégation de l’UE en Algérie, Simone Petroni. Un projet qui passe, selon lui, par le lancement d’un dialogue entre les investisseurs européens et les autorités chargées de l’investissement en Algérie, à travers l’organisation d’une série de réunions et d’événements afin d’identifier de nouvelles voies pour améliorer les relations économiques
bilatérales et faire de l’accord d’association « un outil puissant pour renforcer le partenariat et promouvoir une coopération basée sur le principe du bénéfice mutuel ». Une nouvelle démarche qui s’avère nécessaire et « opportune pour explorer de nouveaux domaines de coopération et de partenariat », estime le professeur d’économie, Brahim Guendouzi, en
analysant, à travers cet entretien, les nouveaux enjeux économiques qui rendent nécessaire une mise à plat de l’accord d’association engageant les deux parties depuis 2005.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR R. AKLI

Le chef de mission adjoint de la délégation de l’union européenne en Algérie a déclaré récemment que l’accord d’association liant les deux parties devrait faire l’objet d’une révision afin de stimuler les investissements européens vers le marché algérien. Comment analysez-vous cette nouvelle orientation des relations bilatérales ?

La conjoncture actuelle se caractérise par des évolutions majeures dans les économies de l’union européenne mais également en Algérie. L’accord d’association entre les deux parties prenantes n’étant pas figé dans le temps, sa révision s’avère opportune pour explorer de nouveaux domaines de coopération et de partenariat. Les changements induits par la pandémie de Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement mondiales ainsi que le conflit russo-ukrainien et la crise énergétique qui en a découlé ont placé les pays de l’union européenne dans un environnement incertain, exacerbé par un fort endettement interne, les amenant à reconsidérer leur positionnement sur de nombreuses questions économiques. D’autant plus, les changements géopolitiques qui s’opèrent actuellement dans le monde étayent la nécessité d’opérer des ajustements. Il en est de même pour l’économie algérienne qui est en train d’évoluer à partir d’une approche rénovée introduite par les modifications de certaines lois économiques importantes s’inscrivant dans une perspective de densification du tissu économique et de diversification de la production nationale et des exportations. En définitive, tout converge vers la renégociation de l’accord d’association Algérie-union européenne, même si les clauses à revoir ou à enrichir restent à identifier par les deux parties.

Depuis son entrée en vigueur en 2005, cet accord d’association est souvent jugé comme déséquilibré en défaveur de l’Algérie. Que faut-il y changer ?

Il est utile de rappeler que l’accord d’association signé entre l’Algérie et l’union européenne en 2002 et ratifié par décret présidentiel 05-159 du 27 avril 2005 ne se limite pas au seul volet de la libre circulation des marchandises, mais comprend également d’autres aspects aussi importants tels que le dialogue politique, le commerce des services ainsi que la coopération économique, financière, sociale et culturelle, et enfin dans le domaine de la justice. Cependant, du côté de la partie algérienne, le contexte spécifique dans lequel la signature de l’accord a eu lieu en 2002 coïncidait avec la fragilité de l’économie nationale qui venait de sortir du contraignant programme d’ajustement structurel passé avec le FMI ainsi que des cours bas du pétrole brut. Au demeurant, pendant les années qui suivirent l’entrée en vigueur de l’accord d’association, l’économie algérienne a pris un autre virage, profitant de la hausse des cours du pétrole, en plus de la consolidation du niveau de ses réserves de change, pour privilégier l’acte d’importer plutôt que celui d’investir dans la production et la diversification des exportations.

Aussi, il est vrai que les engagements commerciaux de l’Algérie dans le cadre de cet accord d’association n’étaient pas globalement adéquats par rapport à la réalité de son tissu
économique, plombé par la rente pétrolière. La révision de cet accord doit donc se faire nécessairement sur l’ensemble des clauses, dont il faudra un nouveau regard afin de faire évoluer surtout les points obscurs ou ceux restés anormalement en deçà des espérances des parties prenantes.

Quelles incitations pourraient être intégrées par l’UE à l’accord d’association pour favoriser concrètement les IDE ?

D’ores et déjà, la vision est tracée à travers les accords bilatéraux entre l’Algérie et l’Italie, le Portugal et l’Allemagne, signés ces derniers mois et à travers lesquels des partenariats constructifs win-win sont construits, induisant des investissements et du savoir-faire, dans l’énergie, particulièrement le gaz naturel et l’hydrogène, l’industrie automobile, la pétrochimie, etc. Il y a lieu de continuer sur cette lancée qui permettra à l’union européenne d’apporter ce qui avait manqué dans la mise en œuvre de l’accord, à savoir les IDE. C’est évidemment l’un des aspects dominants, à côté du commerce extérieur dans son côté accès aux marchés européens ainsi que la formation et l’expertise.

Les mesures de rationalisation des importations mises en place ces dernières années en Algérie pour favoriser la production nationale ont souvent suscité quelques appréhensions du côté européen. Ces divergences sont-elles toujours de mise ?

Tout d’abord, il y a lieu de faire ressortir que l’union européenne reste le premier partenaire commercial de l’Algérie avec plus de la moitié de ses achats de l’extérieur, alors que les exportations algériennes hors hydrocarbures vers cette destination sont restées insignifiantes. Il est vrai que s’agissant du volet commercial, certaines restrictions à l’importation, qui ont été prises ces dernières années par l’Algérie de façon unilatérale, visaient toutes à rationaliser les achats de l’extérieur en vue de sauvegarder les équilibres de la balance commerciale, d’une part, et à protéger la production nationale, d’autre part. Ces arguments sont connus et pratiqués à travers le monde, y compris dans les pays avancés, lorsqu’il s’agit d’un certain protectionnisme dans les échanges commerciaux internationaux. D’ailleurs, l’accord d’association a prévu à travers l’article 11 des modalités spécifiques à mettre en œuvre dans certaines situations. Il s’agit de l’application de mesures de sauvegarde, et l’Algérie a ainsi institué en 2019 un nouveau droit de douane appelé droit additionnel provisoire de sauvegarde (DAPS) qui frappe près de 1095 sous-positions tarifaires.

L’amélioration du climat des affaires en Algérie et la nouvelle politique de diversification des partenariats économiques que mène le pays ces quelques dernières années semblent inciter davantage les Européens à vouloir investir dans des projets de coproduction ou de colocalisation sur le marché algérien. Qu’en est-il, selon vous ?

La faiblesse constatée des flux entrants d’IDE à partir des pays membres de l’union  européenne devrait normalement évoluer vers des partenariats stratégiques entre firmes européennes et entreprises algériennes, et ce, dans le cadre de la loi 22-18 relative à l’investissement. Celle-ci a apporté d’importantes nouveautés au profit des investisseurs, comme les garanties, la transparence, la célérité dans le traitement des dossiers et les différentes incitations (fiscales, foncier, transferts des revenus en devises, etc.). Les
affaires ne manquent pas en Algérie, notamment dans des secteurs comme l’industrie gazière et l’hydrogène, l’industrie pharmaceutique, les énergies renouvelables, l’agroalimentaire, l’économie de la connaissance, l’expertise, etc. Autant dire que les domaines de partenariat sont divers et que seule la volonté politique de part et d’autre reste à confirmer.

R. A.