Malek Abdeslam, docteur en hydrogéologie : «Il faut récupérer les eaux de pluie qui se déversent en mer»

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NABIL M.

Dernièrement, différentes régions du pays ont observé plusieurs averses de pluie. Peut-on dire qu’il y a eu assez pour remplir les barrages, en sachant que le taux de remplissage a été estimé dernièrement à 36,9% ?

On n’a pas eu suffisamment de pluie pour remplir les barrages. Actuellement, on a des déficits un peu partout. On a observé un déficit de 31% à Tizi Ouzou, 50% à Alger ; dans l’Oranie, c’est carrément 70% de déficit, et à l’est, c’est entre 20 jusqu’à 40% de déficit. Les dernières quantités enregistrées sont autour de 51 mm à Tizi Ouzou, 90 mm à Blida, Médéa et Miliana ont aussi reçu beaucoup d’eau, mais ce n’est pas encore suffisant.

Peut-on s’attendre à d’autres averses importantes dans les prochains mois ?

On a eu de très grands apports dans les barrages du centre et de l’est du pays, mais ça reste insuffisant, car aujourd’hui, on est à 50% de ce qui aurait pu tomber en moyenne dans la région. Les pluies se sont concentrées surtout sur le littoral. En cette période de l’année, le taux de remplissage des barrages est estimé à 31% alors que pour l’année en cours, on est nettement mieux avec plus de 36%. Si on prend l’exemple du barrage de Taksebt à Tizi Ouzou, nous sommes nettement plus haut que l’année dernière à la même période, soit 20 millions de mètres cubes de plus. Pour les prévisions des jours et mois à venir, la période de fin avril peut être importante en averses, le mois de mars et avril aussi. D’ailleurs, l’année dernière, on a eu de grosses averses à l’ouest d’Alger, Bouharoun, Khemisti, Bousmaïl, Koléa, avec des pluies exceptionnelles. Il faut dire que les grosses pluies tardives sont intéressantes au sens où elles peuvent sauver la saison. La pluviométrie en Algérie a toujours été très variable.

L’Algérie dispose de plus de 80 barrages au niveau national avec de grandes capacités de remplissage. Ces barrages sont-ils suffisants et assez exploités pour répondre aux besoins de la population ?

Le souci ne réside pas dans les barrages, car tout ce qui arrive par l’eau des pluies est retenu. Si vous prenez oued El-Harrach, sur un des bras qui passe par Hammam Melouane, on retient l’eau et on le transfère même vers le barrage de Douéra. Par contre, ce qui vient
de Tablat, de Larbâa et de Sidi Moussa, il n’existe pas de barrage pour recevoir les flux d’eau qui vont directement vers la mer. Nous avons beaucoup de pluies sur le littoral, mais ça part directement à la mer. Il y a un très bel exemple à Sebaou, où il y a un transfert d’eau vers Taksebt. C’est pareil pour oued Isser, il y a un transfert de Beni Amrane vers le barrage de Keddara, ainsi que le surplus d’oued El-Hamiz qui est aussi transféré vers le barrage de Keddara. C’est des méthodes qui sont très utiles pour la récupération des eaux de pluie et qu’il faut généraliser un peu partout. Selon mes calculs, après les pluies du début décembre jusqu’à février, sur oued El-Harrach et Oued Sidaou, on a eu 100 millions
de mètres cubes de pertes pour chacun de ces oueds. Donc, ce serait bien de retenir toute cette eau dans l’oued avec des moyens simples pour freiner l’écoulement et faire en profiter l’agriculture, surtout pour la région autour d’oued El-Harrach et la Mitidja, qui est une nappe très importante dont il faut reconstituer les réserves, car les niveaux sont descendus très bas.

Pour les eaux usées, c’est important aussi comme ressources, sachant que la capacité de rejet des stations d’épuration, c’est autour d’un milliard de mètres cubes. De toute façon, pour les régions de l’intérieur, l’eau est récupérée d’une manière naturelle, puisqu’elle retourne au milieu naturel. Ce qui n’est pas le cas pour les régions du nord comme à Alger où l’eau va trop vite à la mer. Dans ce cas, il faut opérer de la récupération. Il faut savoir aussi que les stations d’épuration ne fonctionnent pas à plein régime en été, car elles reçoivent moins d’eau qui est rejetée, ce qui permet à ces stations de faire un sur-traitement, ce qui peut être utile surtout pour l’agriculture.

Avec les mesures prises par l’Etat, notamment les stations de dessalement et les forages des puits entre autres, la bataille de l’eau, qui est considérée comme une source stratégique pour tous les pays, peut-elle être gagnée à l’avenir ?

Pour moi, le dessalement de l’eau de mer est une option stratégique qu’il faut mener d’une
manière raisonnable et réfléchie sans précipitation, avec des réalisations de qualité pour que ça soit pérenne et qu’on puisse les exploiter en cas de besoin. Il y a des centaines de mètres cubes qui vont à la mer, en périodes de fortes averses, alors qu’il y a une année bonne et d’autres moins bonnes en pluviométrie, alors il faudrait faire des soudures, comme dans l’agriculture, entre les bonnes et les mauvaises années de pluies.

Avec le dessalement et l’appoint des barrages et des stations d’épuration et des
récupérations d’eau par-ci par-là, tout est utile pour gagner la bataille de l’eau. Il faut regarder ce secteur d’une manière stratégique. La démographie fait que les besoins sont plus importants et les exigences également, avec une hausse constante de la consommation d’eau. Vous savez que les moyennes annuelles de pluviométrie à Alger, ce sont les mêmes, au chiffre près, qu’à Paris, autour de 800 mm de pluies par an.

Sauf qu’à Alger, il pleut entre 70 et 90 jours par an, alors qu’à Paris, c’est 260 à 280 jours par an. Alors, il faut s’adapter à la répartition, en stockant les pluies pour les utiliser en période de sécheresse.

N. M.